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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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Devait-il cacher le colt avant que Kostia n'entrât ? L'hésitation de Romachkine ne dura qu'un centième de seconde. La première chose que vit Kostia en entrant, ce fut le bleu-noir magique de l'acier sur la nappe de papier blanc. Kostia prit le colt, le fit joyeusement sauter dans sa main ouverte.
    – Magnifique !
    Jamais encore il n'avait tenu une arme, il en éprouvait un bonheur enfantin. Il était assez grand, le front haut sous des mèches désordonnées, les prunelles d'une couleur marine.
    – Comme vous le tenez bien ! admira Romachkine. Le colt, en effet, grandissait Kostia, lui donnant une allure fière de jeune guerrier.
    – Je l'ai acheté, expliqua Romachkine, parce que j'aime les armes. J'ai chassé autrefois, mais un fusil de chasse c'est trop cher… Une Winchester à deux coups, douze cents, pensez-vous !
    Kostia n'écoutait que distraitement cette explication embarrassée : que ce voisin timide possédât un revolver l'amusait et il ne le cachait point, tout le visage éclairé d'un rire léger…
    – Vous ne vous en servirez sûrement jamais, Romachkine, dit-il.
    Romachkine, prudent, répondit :
    – Je ne sais pas… Je n'en ai pas besoin, naturellement. Pourquoi en aurais-je besoin ?… Personne ne me veut du mal… Mais c'est très beau, une arme. Ça fait penser…
    – Aux assassins ?
    – Non, aux justes.
    Kostia se retint de pouffer. Dérisoire héros toi-même, pauvre type ! – Brave type, il est vrai. Le petit homme le considérait avec une sorte de gravité. Kostia craignit de le peiner en plaisantant. Ils bavardèrent quelques minutes comme à l'accoutumée.
    – Avez-vous lu le fascicule 12 du Bagne ? demanda Romachkine avant qu'ils se séparassent.
    – Non, c'est intéressant ?
    – Intéressant, oui, il y a l'histoire de l'attentat contre l'amiral Doubassov en 1906…
    Kostia emporta le fascicule 12.
    Lui-même, Romachkine, ne voulut relire aucun récit de ces fastes révolutionnaires. Ces textes l'eussent découragé. Les attentats d'autrefois exigeaient une préparation minutieuse, des organisations disciplinées, de l'argent, des mois de travail, de surveillance, d'attente, plusieurs courages liés ; au surplus, ils échouaient souvent. S'il avait réellement pensé, son dessein lui eût apparu tout à fait chimérique. Mais il ne pensait pas ; la pensée se nouait, se dénouait en lui sans qu'il la gouvernât, proche de la rêverie. Et cela lui ayant suffi pour vivre, il ne savait pas que l'on pouvait penser mieux, plus fermement, plus clairement, mais que c'est un étrange travail que l'on accomplit presque malgré soi et qui ne mène souvent qu'à une joie amère au-delà de laquelle il n'y a rien. Chaque fois qu'il le put, le matin, à midi, le soir, Romachkine explora certains parages du centre de la ville, la place Staraia, vieille place, où s'élève le haut édifice en pierre de taille grise d'une sorte de banque : à l'entrée une plaque de verre noir à lettres d'or : Parti communiste (bolchevik) de l'U.R.S.S., Comité central. Silhouette d'un factionnaire dans le corridor. Ascenseurs. De l'autre côté de l'étroite place, la vieille muraille blanche, crénelée, de Kitai-Gorod, cité chinoise. Des autos arrivaient. Il y avait toujours quelqu'un qui fumait en musant au coin de la rue… Non, pas ici. Impossible ici. Romachkine n'eût pas su dire pourquoi. À cause de la blanche muraille crénelée, des sévères pierres grises, du vide ? Ses pas se perdirent sur un sol trop dur, Romachkine ne se sentait ni poids ni consistance. Aux abords du Kremlin, par contre, des souffles d'air, glissant sur les jardins, le portaient, créature insignifiante, sur le pavé de la place Rouge, tout à fait anonyme quand il s'arrêtait un court moment, avec des provinciaux, devant le mausolée de Lénine, plus chétif encore sous les bulbes tordus passés de couleur, de Saint-Vassili-le-Bienheureux. Il ne se trouva bien qu'ayant gravi les trois marches de pierre du lieu des supplices, qui est là depuis des siècles, entouré d'un petit balcon circulaire, en pierre. Combien d'hommes ont souffert ici ? De tous ces suppliciés, rien ne subsistait dans aucune âme de passant, sur la place, sauf en lui ; il se fût si simplement lui aussi, couché sur la roue pour qu'on lui brisât les membres – atroce douleur dont la seule pensée lui moirait la peau de frissons –, mais que faire d'autre quand on est là ? À partir de ce jour, il emporta le colt dans toutes ses

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