L'âme de la France
obéissance. Les Français, qui se sentent peu faits pour se gouverner eux-mêmes, ont entièrement remis leur liberté et leur volonté aux mains de leur roi. Il lui suffit de dire : “Je veux telle ou telle somme, j'ordonne, je consens”, et l'exécution est aussi prompte que si c'était la nation entière qui eût décidé de son propre mouvement. »
Cette relation particulière entre un peuple et son souverain est la traduction politique d'un sentiment partagé entre celui-ci et les Français : le patriotisme.
Et les poètes, les écrivains – ils forment une Pléiade incomparable, de Clément Marot à Ronsard, de Rabelais à Du Bellay, de Montaigne à Desportes –, les juristes, l'expriment, chantent la patrie :
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux
Que des palais romains le front audacieux
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine
Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin
Plus mon petit Liré que le mont Palatin
Et plus que l'air marin la douceur angevine,
dit Du Bellay, évoquant son village natal et rêvant de « vivre entre ses parents le reste de son âge ».
Il ajoute en 1559 :
Laisse-moi donques là ces Latins et Grégeois
Qui ne servent de rien au poète françois
Et soit la seule cour ton Virgile et Homère
Puisqu'elle est, comme on dit, des bons esprits la mère.
Les auteurs anonymes de chansons populaires riment autour des mêmes thèmes.
Ils exaltent « le noble roi François », vainqueur à Marignan, et pleurent lors de sa détention à Madrid après le désastre de Pavie.
Mais, durant toute sa captivité – un an –, la fidélité au souverain n'est jamais remise en cause.
Alors que la régente – Louise de Savoie, mère du roi – est à Lyon, les Parisiens, craignant l'invasion, créent une assemblée représentative qui s'arroge certes des pouvoirs, mais qui s'affirme décidée à combattre l'ennemi « impérial ». Et il en est ainsi dans tout le royaume.
Ce « patriotisme » est une des spécificités françaises, et les femmes en sont souvent les porte-parole, comme si elles reprenaient le glaive de Jeanne d'Arc.
D'ailleurs, autour de François I er et de Henri II, les femmes jouent un rôle décisif.
Louise de Savoie mène les négociations pour la libération de son fils. Sa sœur Marguerite, sa maîtresse Anne, duchesse d'Étampes, sont des actrices de la vie culturelle et favorisent la diffusion de l'humanisme.
Diane de Poitiers, maîtresse de Henri II, et naturellement son épouse Catherine de Médicis, fille de Laurent de Médicis, nièce de deux papes, mère de François II, puis de Charles IX (1560-1574) et de Henri III (1574-1589), d'une reine d'Espagne et d'une reine de Navarre, ont elles aussi un grand poids politique.
Ce rôle des femmes au sommet de l'État, dans le cœur du pouvoir absolutiste, que Jeanne d'Arc avait incarné au siècle précédent, se trouve ainsi confirmé au xvi e siècle et devient l'un des traits majeurs de l'« âme de la France ».
Ce sentiment national, ce patriotisme, cet absolutisme, se renforcent mutuellement et accroissent le pouvoir du roi.
Ils vont être confrontés à la Réforme, c'est-à-dire à la possibilité, pour l'un des sujets du royaume, d'opter pour une autre religion que celle de son souverain.
Et, de surcroît, une foi souvent étrangère, hérétique (Luther a été excommunié par la diète de Worms en 1521).
Le risque d'une résurgence d'un « parti de l'étranger » est, au fur et à mesure que le siècle s'avance, de mieux en mieux perçu par ceux qui, « politiques », souhaitent préserver l'unité du royaume et donc organiser la « tolérance » pour les adeptes de la « religion prétendument réformée ».
Durant toute la première moitié du xvi e siècle – jusqu'en 1560, date de la mort de François II –, la situation oscille.
Marguerite, sœur de François I er , humaniste, influence le roi, favorable à ceux (Lefèvre d'Étaples, un érudit ; Briçonnet, évêque de Meaux), qui veulent, en bons lecteurs de la Bible – dont les exemplaires imprimés se répandent –, purifier l'Église.
Le 5 février 1517, François I er a même chargé Guillaume Budé d'inviter Érasme à venir à Paris : « Je vous avertis que si vous voulez venir, vous serez le bienvenu », lui écrit le monarque.
La création du Collège trilingue (latin, grec, hébreu) des lecteurs royaux participe de cette ouverture humaniste
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