L'âme de la France
Les moines casqués, les ligueurs, les milices, tiennent la capitale. Et ce roi qui aspire à gouverner la France commence par faire mourir de faim les Parisiens en les enfermant dans un blocus impitoyable : on fabrique du pain en broyant les os des squelettes arrachés au cimetière des Innocents ! On dénombrera près de cinquante mille victimes de la disette, de la maladie et des combats.
Ce sont les troupes espagnoles d'Alexandre Farnèse qui viennent desserrer le siège et prennent garnison dans Paris.
Telle est la France : quand elle n'est pas unie, elle s'entre-dévore, elle en appelle à l'étranger.
Les passions s'y exacerbent, mais, en même temps, dans chacun des camps, des « politiques », des « réalistes », commencent à penser qu'il faut trouver des solutions de compromis.
Et ces « raisonnables » se séparent peu à peu d'avec les plus « zélés » de leurs compagnons. La France apparaît aux « politiques » si divisée que, sous peine de la voir éclater, disparaître, il leur faut trouver des solutions qui ne satisfont pas les « zélés », mais expriment l'équilibre des forces.
Les passions françaises conduisent ainsi paradoxalement à l'« arrangement » qui permet la reconstitution de l'unité nationale. Mais cette « sagesse » ne l'emporte qu'après que l'on a éprouvé l'impossibilité et souffert des cruautés des solutions extrêmes.
C'est à Paris que tout se joue et que se confirme le rôle décisif, central , de la capitale, et qu'ainsi s'accuse un trait majeur de l'histoire française.
Là s'esquisse parmi les ligueurs des revendications politiques extrêmes. Les « catholiques zélés » veulent un roi contrôlé par les états généraux. Le conseil des Seize de la Ligue et un comité secret des Dix dressent des listes de proscription de personnalités à « épurer ».
On perquisitionne. On menace.
Le « papier rouge » énumère les noms de ceux qui doivent être « pendus, dagués, chassés ». Les lettres P, D, C, indiquent le châtiment prévu.
Et trois magistrats, dont le président Brisson, soupçonnés d'être des « politiques », c'est-à-dire des « modérés » indulgents envers l'hérésie, donc des traîtres, sont pendus et leurs cadavres exposés en place de Grève.
Un climat de terreur s'installe ainsi dans Paris.
Les « zélés » développent dans un même mouvement une conviction religieuse radicale – contre les huguenots – et une idéologie égalitaire.
Ils contestent la transmission héréditaire des titres nobiliaires.
Ils s'en prennent à ceux qui, en pleine disette – due au blocus de Paris par les armées de Henri IV –, ont leurs plats « pleins de grasse soupe ».
Ces revendications inquiètent les gentilshommes, le duc de Mayenne et les bourgeois aisés.
Des divisions se font jour parmi les ligueurs. Le roi, redécouvre-t-on, est le garant de l'ordre, et les « zélés » répandent au contraire des ferments de désordre, voire de révolution.
On aspire à la paix, à l'unité du royaume autour du souverain. Et le patriotisme vient s'ajouter à ces motivations sociales. On se veut « vrai Français ». On rejette et on craint la présence et la politique des Espagnols.
On craint l'éclatement du pays. On s'inquiète de ces villes « qui veulent un conseil à part, comme si chacune d'elles eût voulu se former sur le modèle et le plan d'une république ». La France ne risque-t-elle pas de devenir « une Italie, et les villes changées en Sienne, Lucques et Florence, ne ressentant plus rien de leur ancien gouvernement et du bel ordre de l'illustre monarchie » ?
Ainsi le « bloc » catholique se fissure-t-il.
La passion religieuse et les revendications républicaines et égalitaires qu'elle charrie, la « terreur » qu'elle commence à répandre, rencontrent les réticences, l'opposition des « politiques », des « nobles », des « bourgeois », des patriotes attachés au modèle monarchique français.
Et le duc de Mayenne, les Guises, les chefs traditionnels de la Ligue, préfèrent en définitive choisir l'ordre.
Les plus zélés des ligueurs sont arrêtés.
Les responsables des exécutions du président Brisson et des deux autres magistrats sont pendus.
En décembre 1589, le duc de Mayenne vide de ses pouvoirs le conseil des Seize et les concentre dans ses mains.
Le « dérapage » de la Sainte Union vers des solutions extrêmes est
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