L'amour à Versailles
préférable à celui d’épouse royale et depuis Maintenon, qu’il n’est point besoin d’être bien née pour le devenir. Plus tard, lorsqu’elle sera la maîtresse officielle du roi, Jeanne fera attribuer à la voyante une rente annuelle de 600 livres.
A vingt ans, elle est déjà trop belle et, à peine sortie du couvent, on la marie à Charles-Guillaume Le Normant d’Étioles, le neveu d’un des amants de sa mère. Elle y gagne un nom et une indépendance.Qui plus est, Étioles, fou de sa femme, la fait admirer dans tous les salons mondains, qu’elle illumine de sa douceur, de ses longs cheveux châtains et de ses yeux changeants. Elle retrouve enfin sa mère, sa complice. Toutes deux mettent au point leur plan : faire en sorte que la prophétie se réalise au plus vite, que Jeanne rencontre son prince charmant. La mère, qui n’est jamais la dernière à lever la cuisse, lui enseigne tout ce que vingt ans de carrière dans des bras masculins lui ont appris : comment satisfaire un homme, ne pas s’oublier au passage, comment ne pas tomber enceinte, l’art interdit de la fellation ou, pire, la sodomie, car si elle veut conserver son roi, il faudra bien qu’elle soit à lui tout entière. Jeanne apprend, bouche bée, et se laisse dessaler docilement par sa chère maman : élève studieuse, elle écoute avec candeur les horreurs débitées par sa mère, récite le soir la théorie, s’entraîne toute seule dans sa chambre, ou bien dans le lit conjugal, attendant avec ferveur de passer à une pratique plus royale. Bien des hommes la courtisent en ces temps de libertinage, elle refuse, car en secret elle n’en tient que pour le roi. Son mari est aux anges : sa femme est belle, enjouée, pleine d’esprit, chante, danse, a l’apparence d’une vierge le jour et l’audace d’une courtisane la nuit et en plus, elle est fidèle ! La chose est assez rare pour être notée. A cetteépoque, des bourgeoises aisées aménagent sans vergogne dans leurs hôtels particuliers des chambres pour héberger leurs amants au vu et au su de tous. Les maris ferment les yeux et ouvrent le portefeuille.
Jeanne a beau vivre à Étioles, elle n’a de cesse de venir à la capitale avec son époux qui l’en admire davantage : non seulement elle lui fait des choses dont il n’aurait pas même rêvé, non seulement elle lui est toute soumise, mais en plus, elle est dévouée, toujours prête à l’accompagner, c’est même le seul motif pour lequel elle condescend à quitter la petite Alexandrine qu’elle chérit comme sa mère l’a choyée et qu’elle a mise au monde en 1741. Et si jamais dans les salons qu’ils fréquentent on parle de Versailles, elle rougit, s’anime et perd toute contenance. Son époux s’en amuse et, comme Madeleine avant lui, ne sait pas dire non à cette femme qu’il adore : il fait en sorte de la conduire dans les jardins du château. A l’époque, pour pouvoir y entrer, il faut porter l’épée, et Étioles, travaillant dans les finances, n’en possède pas. Il soudoie quelque ami pour en arborer une, l’espace d’un ou deux après-midi. Dans le parc, Jeanne est comme un papillon : elle virevolte, tourne la tête en tous sens et n’a pas assez d’yeux pour jeter des regards à l’affût du roi, ou des oeillades à quelque badaud qu’elle a pris pour SaMajesté. Mais le roi n’est pas là. Pas plutôt retournée à Étioles, elle supplie son époux de la ramener à Versailles : elle n’a jamais vu si belles fleurs, prétexte-t-elle. Il sourit avec bienveillance et lui promet de la conduire à nouveau, mais pas tout de suite, car il a des affaires à régler. Elle est comme une enfant qui revient d’une fête foraine et qui, pas plus tôt rentrée, veut y repartir. Tous les jours elle lui demande, après l’avoir embrassé : « Mon ami, quand y retournerons-nous ? »
Étioles tarde, elle prend les devants : elle part seule, dans les bois de Sénart, à la recherche de son bien-aimé dont on dit qu’il est féru de chasse. Elle a revêtu ses plus beaux atours, elle en fait même un peu trop et devient, le temps d’un jour, la plus délicieuse écuyère du royaume.
En chemin, elle pense aux mille et un tours qu’elle pourra inventer pour attirer l’attention du roi : chute de cheval, brigands, égarement, aucun artifice ne lui semble digne de la situation. Finalement elle arrive aux bois sans savoir comment faire. Elle entend des bruits de sabots, ceux de la meute, voit une
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