L'amour à Versailles
le 20 décembre 1721, dix ans après le roi. Elle est la fille d’un administrateur des vivres dans l’armée, François Poisson, et d’une Madeleine de la Motte, « belle à miracle » qui, pendant que son mari est au front, ne rechigne jamais pour aller au feu, les bras ouverts. Que ce soit de son mari ou d’un autre, elle met au monde une poupée délicieuse, Jeanne. La petite est adorable, toute blonde, les yeux limpides, ne pense qu’à faire des grâces et des risettes. Sa mère, dont elle est le premier enfant, en est folle. Elle l’abreuve de baisers, la choie, la fait admirer à tout le quartier : « Regardez comme elle est belle! C'est ma fille. » La mode est aux fanfreluches, elle la couvre de rubans, de noeuds, de volants et autres passementeries, l’habillecomme un paquet-cadeau. Elle l’appelle « Reinette » et quand elle est plus canaille, devant ses amants, dit qu’elle est « un morceau de roi ». Rien n’est trop beau pour la petite si belle. La famille a du bien : les Poisson sont de vrais bourgeois, si bien que le moindre caprice de Jeanne peut être exaucé sans tourment.
Après la naissance de la petite, Madeleine continue d’avoir quantité d’amants. Ils ont son corps, sa fille a son coeur et, si Jeanne a dû en voir de belles par le petit trou de la serrure, ce n’est pas grave : sa mère a beau avoir de nombreuses liaisons, elle sait qu’elle est la préférée. C'est une enfant chérie, un point commun qu’elle partage avec Louis XV. Toute sa vie, elle restera une poupée, adorée de sa mère comme de son amant. Même sur les portraits de sa vieillesse, elle garde un je-ne-sais-quoi de mutin, qui fait que je ne la trouve pas à mon goût : ce joli minois est trop enfantin.
Vers treize ans, il lui vient des seins, et l’un des amants de Madeleine (qui a de fortes chances d’être le père de Jeanne) la place au couvent. C'est le grand déchirement d’avec sa mère. Finis les cadeaux et les caprices : elle est une pensionnaire parmi tant d’autres chez les Ursulines. Rapidement, Jeanne s’y instruit. Elle est d’une grande intelligence et s’y ennuie tout aussi vite : elle a toutle loisir de penser que sa mère l’appelait « ma reine » et que le roi, dont tout le monde dit qu’il est le plus beau gentilhomme d’Europe, cherche une épouse, car l’Infante-reine, Marie-Anne-Victoire d’Espagne, vient d’être répudiée. Pendant quelques semaines sont organisés des bals et des divertissements pour que le souverain trouve une nouvelle souveraine. Nous sommes en plein conte de fées : Cendrillon de Perrault n’a que quelques années.
Louis XV tarde à choisir. La rumeur s’affole : aucune princesse n’est suffisamment jolie pour séduire un roi si beau. Tout le royaume est en émoi : le coeur du monarque est à prendre. Jeanne dans son couvent a souvent imaginé les fiançailles du roi enfant (il avait douze ans) sur l’île des Faisans, et se verrait bien aujourd’hui dans le rôle de la nouvelle promise. Le soir, après ses prières, elle chante « Un jour mon prince viendra ! » ou tout autre ritournelle de même sens à l’époque. Le prince ne vient pas, pire on le marie à une autre, une étrangère, une Polonaise sans le sou, Marie Lezcinska, de sept ans son aînée et dépourvue de grâce. Je suis prêt à parier que, le soir des noces, Jeanne a pleuré toutes les larmes de son corps délicieux et qu’elle n’était pas la seule.
Mais, contrairement à nombre de ses consoeurs, Jeanne jouit d’une incroyable confiance en elle.Celle-ci lui vient de sa beauté, de son tempérament volontaire, de l’admiration et de l’amour dont sa mère l’a toujours entourée, mais aussi d’une prédiction qui lui fut faite un beau soir de ses neuf ans. Dans le Paris des années 1730, il y a encore nombre de foires et de bateliers. Au coin d’une ruelle sombre, sous un auvent plus sombre encore, une vieille rempailleuse nommée Mme Lebon passe pour avoir des pouvoirs. Elle regarde la main potelée de la petite, ouvre une grande bouche édentée, reste coite quelques instants, puis lui serre le bras en lui disant qu’elle deviendra la maîtresse du roi. La mère est aux anges, la petite est bouleversée, non de peur devant tant de laideur, mais de ravissement. Munie de l’exemple maternel, elle est bien persuadée qu’il est fort enviable d’être une maîtresse. Qui plus est, depuis La Vallière et Montespan, on sait que le statut de favorite est
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