L'amour à Versailles
propos, il n’est pas à craindre que l’échantillon soit trop restreint pour être significatif. Ses amants sont si nombreux que le surnom qui lui est donné, Mme Versailles, est sans équivoque : la ville tout entière aurait bénéficié du satiné de ses draps. Louis XV n’ignore pas les turpitudes de sa nouvelle maîtresse : il s’en amuse. Lorsqu’il l’interroge sur lavéracité de telle ou telle aventure, elle ne conteste rien et proclame au contraire avoir accepté les positions et les propositions malhonnêtes d’un ministre, d’un cardinal ou d’un laquais, simplement pour s’assurer de leur fidélité au roi. Elle avoue aussi, avec plus de délicatesse toutefois, qu’elle ne peut résister à la puissance d’un torse ou aux baisers d’une bouche aux dents de nacre. La demoiselle est une contemplative.
Ses manières ne lui valent pas que des amis : le duc de Choiseul, ministre puissant, ne tarde pas à comploter pour écarter une dulcinée qui l’éloigne du souverain. Pour parvenir à ses fins, Choiseul ne manque jamais d’imagination et il connaît bien les tenants du problème, ayant lui-même profité des largesses de Mme Versailles. Il soudoie l’une de ses amies et, contre une somme rondelette, obtient moult détails sur les nuits que les deux amants partagent. Il veut tout savoir : les mots échangés, les caresses, les postures pratiquées, rien ne doit lui rester secret. Quelques semaines plus tard, Choiseul, muni de quantité d’informations croustillantes, écrit au roi. Il affirme que sa maîtresse se répand partout en commérages et raconte sans la moindre pudeur leurs échanges amoureux :
« Mme d’Esparbès se donne pour être votre maîtresse dans Paris et se déchaîne contre moi et contrema famille dans les termes les plus odieux ; la considération du ministère, qui n’est autre que la vôtre, est anéantie dans la capitale. »
Louis XV n’a que faire de sa réputation ni de la considération d’un ministère. Cependant, si la lecture de la missive le laisse froid, afin d’éviter d’éventuelles indiscrétions sur sa politique et pour apaiser le courroux de son ministre, il signe l’exil de sa charmante dévergondée. Le stratagème de Choiseul a fonctionné à la perfection. Le roi, à nouveau, se retrouve seul. Les conseillers du monarque lancent alors une opération « prince charmant ». Dans tout le pays, des indicateurs sont envoyés pour dénicher la perle rare. Mais le roi a perdu de son entrain. Les femmes se succèdent dans son lit, Mme de Gramont devient sa maîtresse quelque temps, mais toujours point de favorite officielle. La situation, inédite, étonne le peuple. Les humoristes s’en donnent à coeur joie et l’on chante à Noël sur les places parisiennes :
Privé de favorites
Notre Louis bien-aimé
S'en fut avec sa suite
Prier le nouveau-né.
Donnez-moi donc, Seigneur, une belle maîtresse
Pour remplacer la Pompadour.
Jésus répondit sans détour :
« Je ne vois que l’ânesse. »
Est-elle plus belle que la reine? C'est par ces mots que Louis XV demande à son valet de lui parler de Jeanne Bécu. La question surprend et choque quelque peu Lebel. Marie Leczinska est âgée de soixante-cinq ans et il y a belle lurette qu’elle ne possède plus les charmes propres à séduire le roi, si tant est qu’elle les eût jamais. Toutefois, en s’exprimant ainsi, le roi signifie clairement que les années de tristesse sont derrière lui : la vie, sentimentale, reprend enfin le dessus. Et tant pis si son épouse est au plus mal. Pendant des années, Louis XV s’est promené seul ou mal accompagné sous les galeries du Grand Trianon. Il a souffert comme le commun de ses sujets le malheur de ne pas aimer depuis ce 15 avril 1764, date funeste qui sépare à tout jamais le roi et la Pompadour. Il a follement aimé cette femme, cette maîtresse, devenue favorite puis conseillère avisée. En effet, Mme de Pompadour n’avait qu’un péché mignon, s’insinuer dans les affaires du royaume. C'était sa distraction, tandis que son compagnon et monarque convoitait les femmes de ses voisins, passait des heures les mains dans la terre à surveiller la croissance des plantes rares ou à écouterles conseils des agronomes tentant d’éradiquer les maladies nuisibles aux cultures de céréales. On ne peut pas être en même temps aux champs et aux affaires.
Veuf éploré, Louis XV n’a plus l’esprit à la bagatelle. Bien sûr, il continue
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