L'Amour Courtois
les définir avec
une précision optimale.
Mais il ne faut pas oublier que la terminologie médiévale
pour « amour courtois » est fin’amor :
il s’agit donc d’une fine amour , et si l’on
comprend bien, d’un amour poussé jusqu’à ses plus
extrêmes limites . Et cela ne va pas sans une certaine finesse , c’est-à-dire sans une certaine recherche d’un fin , autrement dit d’un but . La fin’amor peut donc être comprise comme une action amoureuse ordonnée en vue d’une fin.
Le mot amour est confus en
langue française. Il désigne à l’origine l’attirance qu’on peut avoir vers un
objet matériel. Le mot provient du latin amor qui a subi la même évolution sémantique, partant du matériel pour en arriver au
spirituel, mais tout aussi confus dans la langue de Cicéron. Les premiers chrétiens
ne s’y sont pas trompés, qui ont ressorti la vieille racine indo-européenne * car encore repérable dans l’adjectif carus , et dont ils ont fait caritas , « amour spirituel », que nous
avons transcrit, depuis le XVI e siècle, en
« charité », mais en déviant le mot de son sens originel : faire
la charité n’est pas faire l’amour, et pourtant… La racine indo-européenne * car se retrouvait en gaulois et s’est maintenue dans
les langues celtiques. Le germanique a utilisé une autre racine qui a donné l’allemand liebe et l’anglais love ,
mais la langue anglaise fait la distinction entre « aimer une chose », to like , et « aimer d’amour », to love . La langue française confond
systématiquement les deux, accentuant l’aspect matériel jusqu’à employer l’expression
« faire l’amour » quand il s’agit seulement d’une étreinte sexuelle
où le véritable amour n’a pas forcément sa place. Au reste, quand la même
langue française réutilise le latin carus , elle
en fait un adjectif également très ambigu : on peut avoir des relations
avec une personne chère , on peut traiter n’importe
qui de « cher ami », mais la sémantique du mot évolue elle aussi vers
une signification matérielle : cet objet coûte cher .
Qu’il est donc ardu de traduire le concept d’amour en langue française !
Il n’est pas inutile de rappeler la difficulté majeure qui
existe lorsqu’il s’agit de définir consciencieusement l’amour, à plus forte
raison la fin’amor dans une formulation en
langue française. Les médiévistes qui se sont penchés parfois avec bonheur sur
le thème de l’amour courtois ont beaucoup divergé dans leurs opinions, les uns
en faisant un simple jeu de société, les autres le considérant comme une
tentative de spiritualisation, certains comme le symbole de l’ascèse cathare, certains
autres encore comme l’aboutissement des théories platoniciennes dans la pensée
chrétienne. En tout cas, le moins qu’on puisse dire, c’est que le problème de l’amour
courtois n’est pas simple : même aux XI e ,
XII e et XIII e siècles,
il a été discuté et traité de diverses manières selon les circonstances et
selon les personnes mises en cause.
1. LES COURS D’AMOUR
Une tradition tenace fait état de cours tenues par de
grandes dames de la société du XII e siècle,
cours qui se constituaient en véritables tribunaux et qui rendaient des
jugements concernant des cas amoureux qui leur étaient soumis. C’est surtout à
Poitiers, à la cour d’Aliénor d’Aquitaine, à Troyes, à la cour de Marie, comtesse
de Champagne, et fille d’Aliénor, et aussi dans certaines cours d’Occitanie, que
se seraient tenues ces séances de tribunaux quelque peu exceptionnels.
Les érudits du XIX e siècle
et ceux de la première partie du XX e siècle
se sont donné beaucoup de mal pour affirmer ou nier l’existence historique de
ces tribunaux d’amour. À vrai dire, ce genre de discussion est parfaitement oiseux :
que les dites cours d’amour aient existé réellement ou qu’il s’agisse d’une
légende, certains textes de jugements demeurent [33] ,
et ils constituent des documents indéniables quant à l’intérêt suscité par les
questions amoureuses dans la société aristocratique raffinée et cultivée de ce
temps-là. On peut ainsi mesurer avec quel soin on pouvait prendre acte de tel
ou tel cas difficile et avec quel enthousiasme on tentait de trouver, pour
chaque cas, une solution. Et du même coup, cela fait apparaître, avant même la
mise par écrit du de Arte Amandi , l’existence d’une
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