L'Amour Courtois
codification de l’amour
courtois que chacun, dans ce milieu aristocratique, connaissait et s’efforçait
de respecter.
C’est le philologue Raynouard qui, en 1817, a été le premier
à mettre en évidence l’existence de ces cours d’amour. Voici ce qu’il en dit :
« Ces tribunaux, plus sévères que redoutables où la beauté elle-même, exerçant
un pouvoir reconnu par la courtoisie et par l’opinion, prononçait sur l’infidélité
et l’inconstance des amants, sur les rigueurs ou les caprices de leurs dames, et,
par une influence aussi douce qu’irrésistible, épurait et ennoblissait, au
profit de la civilisation, des mœurs, de l’enthousiasme chevaleresque, ce
sentiment impétueux et tendre que la nature accorde à l’homme pour son bonheur,
mais qui presque toujours fait le tourment de sa jeunesse, et trop souvent le
malheur de sa vie entière. »
Certes, nous sommes au début de l’époque romantique. Il est
de bon ton de s’extasier sur la passion amoureuse. Stendhal s’en souviendra dans
son traité De l’Amour où il analyse, non sans
pertinence, les mécanismes du comportement amoureux, et où il placera, en
appendice, le code d’amour. Mais Raynouard, qui a toutes les chances d’être
dans le vrai, analyse ensuite la composition de ces cours, généralement formées
« d’un grand nombre de dames » et présidées par une dame plus importante
par son rang. Tantôt, les parties comparaissaient ou se faisaient représenter
pour plaider leur cause. Tantôt les dames discutaient entre elles et se
prononçaient sur des suppliques ou de simples questions qui leur étaient posées,
le tout dans une atmosphère passionnée mais réfléchie. Divertissement si l’on
veut, ces cours d’amour, même si l’on a exagéré leur nombre ou leur importance,
ont largement contribué à l’étude des mécanismes de l’amour, et surtout, elles
nous donnent une image assez exacte de ce que pensait la haute société du temps.
Nous possédons vingt et un jugements de ces cours d’amour, jugements
rendus et exprimés par de grandes dames comme Aliénor d’Aquitaine elle-même, la
comtesse Marie de Champagne, Élisabeth de Vermandois, comtesse de Flandre, Ermengarde,
vicomtesse de Narbonne, ainsi qu’Alix de Champagne, troisième épouse du roi
Louis VII. Comme l’a écrit Gaston Paris, « les noms des grandes dames
citées par Le Chapelain sont ceux des principales patronnes de la science
amoureuse. La cour d’Aliénor fut sans doute un modèle qu’on imita avec empressement
et les autres grandes dames ambitionnèrent la gloire de devenir docteurs et
jurisconsultes d’amour… Ainsi s’établissait, à côté des lois fondamentales que
le dieu d’amour avait lui-même révélées à un chevalier breton, une
jurisprudence appuyée sur l’autorité de noms illustres ». Et cette jurisprudence,
tout en prônant le rôle déterminant de la femme dans toutes les affaires d’amour,
constitue une étonnante documentation sur la façon dont était vécu réellement –
toujours dans le cadre de la « bonne » société, celle qui avait le
temps de penser et de réfléchir – le code d’amour.
Les thèmes sont aussi variés que les cas. Mais ils
concernent toujours les rapports délicats qui s’instaurent dans le couple, et
tout se passe comme si on essayait de prendre appui sur un cas exemplaire pour
atteindre une généralité, afin de permettre aux amants de modeler leur
comportement sur un consensus donnant satisfaction à tout le monde. Car, plus
que jamais, les amoureux ne sont pas seuls au monde : ce « monde »
les regarde et juge leurs actes selon qu’ils sont conformes ou non aux usages
en vigueur, et au besoin, il les aide à surmonter les difficultés. Le couple
courtois, bien que parfaitement illégitime dans le siècle, eu égard à la morale
et à la structure sociale, acquiert ainsi curieusement une légitimité dans
cette élite intellectuelle qui constitue en fait un anti-monde ,
c’est-à-dire un monde idéal parallèle à celui du quotidien.
Un chevalier aimait d’un amour excessif une dame qui se refusait
obstinément à l’aimer. À la fin, touchée par sa persévérance, elle lui proposa
l’ espérance d’amour à condition qu’il prît un
engagement solennel : « Vous obéirez toujours à mes ordres et si vous
manquez à l’un d’eux, vous serez complètement privé d’amour. » Évidemment,
le soupirant prononça un serment, et la dame lui
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