L'Amour Courtois
évidence, la dame en question n’est pas en puissance de
mari, car, dans ce cas, le fait qu’elle soit enceinte ne justifierait pas la
jalousie et la réaction de l’amant. Il faut sans doute comprendre que cette
dame, qui aimait certainement son chevalier d’un amour sincère, s’était laissée
aller à une aventure passagère avec un autre homme. De toute façon, sur le plan
du code d’amour courtois, elle ne pouvait être que condamnable, nul ne pouvant
avoir deux liaisons à la fois.
Une jeune fille avait rompu avec un amant qui était fort convenable
afin de se marier avec un homme honorable. Elle voulut alors se dérober à l’amour
de son ancien amant et lui refuser toutes ses bontés habituelles, alors que
celui-ci, éperdument amoureux, les lui réclamait sans cesse.
Le cas fut jugé par Ermengarde, vicomtesse de Narbonne, d’une
façon qui n’admet aucune dérobade : « La survenance du lien marital n’exclut
nullement de droit le premier amour, à moins que la dame cesse complètement de
s’occuper d’amour et décide de ne plus jamais aimer personne. » On ne peut
pas dire plus nettement que le mariage n’entre jamais en ligne de compte quand
il s’agit d’amour. D’ailleurs, quand on demanda à cette même Ermengarde de
Narbonne quel était le sentiment d’amour le plus fort, entre époux ou entre
amants, elle répondit non moins nettement : « L’affection entre époux
et le véritable amour entre amants se révèlent de nature complètement opposée
et ont leur origine dans des mouvements [de l’âme] tout à fait différents. »
Il y a cependant une contrepartie. Une dame, qui avait été d’abord
mariée, se sépara de son mari après que le mariage eut été annulé. Mais celui
qui avait été son époux lui demanda avec insistance son amour. Cette dame, ne
sachant que faire, demanda conseil à la vicomtesse de Narbonne, laquelle lui
répondit : « Si deux personnes ont été unies par un lien conjugal et
ensuite se trouvent séparées, de quelque manière que ce soit, nous déclarons
que l’amour qui peut exister entre eux n’est pas coupable, mais qu’il est
parfaitement licite. » C’est une fois de plus affirmer que le mariage n’est
rien d’autre qu’un contrat social sans rapport avec le sentiment.
Mais certains cas présentent des complications. Un amant, déjà
lié par un profond attachement envers une dame qui l’aimait tendrement, requit
très instamment d’amour une autre dame, comme s’il avait été lui-même privé de
tout amour. Suivant les désirs de son cœur, et à force d’insistance, il obtint
tout ce qu’il demandait. Mais une fois obtenu ce qu’il désirait si fort, il s’en
vint trouver sa première amante, lui réclamant ses bontés, et cherchant
querelle à la seconde. Il s’ensuivit un scandale qui fut évoqué à la cour de la
comtesse de Flandre. On se demanda quelle punition on pourrait infliger à cet
homme incontestablement coupable d’avoir entretenu deux liaisons à la fois.
La réponse est intéressante en ce sens qu’il y a punition sociale.
L’amant malhonnête est en effet mis au ban de la société : « Cet être
indigne, qui s’est rendu coupable d’une aussi grave déloyauté, mérite d’être
privé de l’amour des deux femmes, et ne doit se flatter de l’amour d’aucune
autre dame honnête, puisqu’on voit régner en lui une volupté impétueuse, qui
est tout à fait ennemie de l’amour. » De plus, on attire l’attention sur
le « trop de luxure » qui est contraire à l’amour dans la mesure où
le charnel n’est que le point de départ vers le spirituel.
Les cas d’éloignement ou de séparation provisoire sont également
à l’ordre du jour des cours d’amour. L’amant d’une dame était parti depuis
longtemps pour une expédition dans des pays lointains, probablement à la
Croisade. Comme la dame ne comptait plus sur un prochain retour et que presque
tout le monde désespérait d’avoir des nouvelles de l’absent, elle chercha un
nouvel amant. Mais un confident du premier amant ressentit cette attitude comme
une offense à celui qui lui avait fait confiance. Il fit opposition au nouvel
amour de la dame devant la cour de la comtesse Marie de Champagne.
La dame se défendit de la façon suivante : « S’il
est permis d’aimer au bout de deux ans à la femme qui est veuve par suite de la
mort d’un amant, à plus forte raison cette femme en a-t-elle le droit
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