L'Amour Courtois
ordonna de ne plus se donner
de peine pour son amour et de ne pas se permettre de célébrer ses louanges en public.
L’amoureux était ainsi pris au piège. Cependant, il supporta cette situation
pénible jusqu’au jour, où entendant dire du mal de celle qu’il aimait si
passionnément, il ne put se contenir, réfuta les calomnies prononcées contre
elle et en fit un éloge vibrant. Cela fut rapporté aux oreilles de la dame, laquelle
déclara qu’il devait être privé de son espérance d’amour parce que, en
célébrant ses louanges, il avait contrevenu à ses ordres.
L’affaire fut portée devant la comtesse Marie de Champagne. Le
jugement fut ainsi rendu : « Cette dame a été trop rigoureuse dans
son exigence. Elle n’a pas craint, en effet, d’arrêter par une injuste décision
celui qui s’était entièrement soumis à sa volonté, et à qui elle avait donné l’espérance
de son amour en se l’attachant par un serment. C’est une tromperie qui n’est permise
sans motif grave à aucune honnête femme. Le dit amoureux n’a commis aucune
faute en s’efforçant, par de justes reproches, de convaincre d’erreur les
détracteurs de sa dame. En effet, s’il s’est engagé par un tel serment, c’est
pour obtenir plus aisément son amour. Il semble donc injuste que la dame lui
ait ordonné de ne plus s’inquiéter par la suite au sujet de cet amour. »
Un chevalier avait une amie qu’il aimait et dont il était
aimé. Un jour, il lui demanda une sorte de « congé », la permission
de se lier d’amour à une autre dame. Le congé fut accordé. Le chevalier s’en
alla donc et demeura un mois éloigné. Il revint alors vers sa première dame, disant
qu’il n’avait eu aucune liberté avec l’autre et n’en avait point désiré, mais
qu’il avait seulement voulu mettre à l’épreuve la constance de son amie. La
dame prit fort mal la chose et le repoussa comme indigne de son amour, disant
que la liberté demandée et obtenue justifiait la privation d’amour.
C’est la reine Aliénor qui eut à juger le cas. Voici ce qu’elle
répondit : « En amour, il est bien reconnu que souvent les amants
font semblant de souhaiter des caresses nouvelles, pour pouvoir mieux éprouver
la fidélité et la constance de leur amie. Elle offense donc la nature suprême
de l’amour celle qui, pour cette raison, arrête les habituelles caresses de son
amant ou refuse de l’aimer, à moins d’une preuve évidente que la foi promise a
été violée. »
Un jeune homme qui n’avait guère d’honnêteté et un chevalier
très honnête, mais marié et donc adultère, prièrent d’amour la même dame. Le
jeune homme prétendait qu’il devait être préféré à l’adultère, car, s’il
obtenait l’amour demandé, il pourra, grâce à cet amour, devenir honnête, et ce
serait ainsi un grand honneur pour la dame d’avoir contribué à faire un honnête
homme d’un chevalier malhonnête.
La reine Aliénor, consultée sur ce sujet, répondit de cette
façon : « Bien qu’un jeune homme sans honnêteté puisse s’élever jusqu’à
l’honnêteté grâce à l’amour d’une dame sage, il ne s’agit cependant pas de la
même chose lorsqu’une femme préfère aimer la malhonnêteté, surtout si elle est
priée d’amour par un homme honnête et comblé de qualités morales. Il pourrait
arriver en effet que, à cause de la conduite de l’homme malhonnête, même en
recevant des choses bonnes et souhaitables, sa malhonnêteté ne trouve aucun
remède pour s’amender, car la semence une fois jetée ne porte pas toujours ses
fruits. »
Un chevalier s’était uni sans le savoir à une dame qui était
enceinte. Une fois que sa grossesse devint évidente, l’amant demanda sa liberté.
Mais la dame, qui était très attachée à son amour, prétendit le garder à elle, affirmant
que la faute était tout à fait excusée : quand son amant et elle avaient
commencé à s’aimer, elle n’était pas enceinte.
Le problème fut également soumis à la reine Aliénor d’Aquitaine.
Elle répondit ainsi : « Cette femme plaide contre le droit et la
justice, elle qui, sous le voile de l’erreur, s’applique à conserver un amour
impudique. En tous temps, en effet, nous sommes tenus de blâmer les actions
impudiques et condamnables, auxquelles en outre le droit humain lui-même s’oppose
par des peines très graves. » La réponse est nette, mais l’affaire n’est
pas claire. De toute
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