L'Amour Courtois
lorsqu’elle
est veuve d’un amant vivant dont elle n’a, depuis longtemps, eu le plaisir de
recevoir de lui lettre ou message oral, surtout s’il en avait de nombreuses
occasions. »
L’affaire traîna en longueur, nous dit-on, et il fallut s’en
remettre à l’arbitrage de la comtesse. Celle-ci conclut le débat de la façon
suivante : « Une amante n’a pas le droit, sous le prétexte d’une
longue absence de son amant, de lui donner congé, à moins qu’elle n’ait la
preuve évidente qu’il a failli dans son amour ou violé la foi des amants, surtout
lorsque l’amant est éloigné par le fait de la nécessité, ou que son absence est
due à une raison très honorable. Rien en effet ne doit donner une plus grande
joie au cœur d’une amante que de recevoir, de pays éloignés, les sujets de
gloire de son amant ou d’apprendre qu’il se couvre de considération dans les
assemblées des grands. Le reproche qu’il a négligé d’envoyer des messages ou
des lettres peut être interprété comme une preuve de sa grande prudence, car il
ne lui était pas permis de confier son secret à un étranger. Et s’il avait
envoyé des lettres dont la teneur était inconnue du porteur, cependant soit par
l’infidélité du messager, soit par la possibilité de sa mort dans le cours même
du voyage, les secrets de son amour pouvaient facilement être divulgués. » Et l’on
sait que, d’après le code d’amour, tout doit être fait pour que le secret d’un
amour ne soit pas divulgué.
Un autre problème concerne l’intégrité physique, chose très
aléatoire en ces temps de guerres et de violences. Un amant, en combattant
vaillamment, avait perdu un œil ou une autre partie du corps. Son amante le
repoussa comme atteint de laideur et donc indigne de sa propre beauté. Elle lui
refusa les caresses qu’elle lui prodiguait d’habitude.
Le jugement d’Ermengarde de Narbonne est précis sur ce point :
« Une femme est considérée comme indigne d’honneur si elle décide de
renoncer à son amant à cause d’une infirmité courante en cas de guerre et qui n’arrive
qu’à de vaillants combattants. Or la témérité des guerriers est ce qui excite
le plus l’amour des femmes et augmente encore plus leur désir d’aimer. C’est
pourquoi une infirmité, survenue à la suite d’une vaillance naturelle en cas de
guerre, doit procurer à l’amant une compensation d’amour. » Ce jugement
est éloquent dans la mesure où il permet une comparaison entre l’attitude des
grandes dames de l’aristocratie médiévale et l’attitude de n’importe quelle
fille de n’importe quelle époque devant le prestige de l’uniforme et le trouble
désir qui naît en elle quand elle se trouve en présence d’ un mâle qui tue .
Il arrive cependant, qu’en dehors du mari, tenu pour inexistant
dans la problématique courtoise, une tierce personne s’infiltre dans le couple :
le confident. Et ce n’est pas sans provoquer des incidents. Un chevalier avait
de l’amour pour une dame, et comme il n’avait aucune occasion favorable pour lui
parler, il s’en remit, pour faire office de messager, et avec l’accord de
ladite dame, à un confident, par l’intermédiaire duquel chacun des deux
pourrait plus facilement à tour de rôle connaître les vœux de l’autre et lui
confier secrètement les siens. Grâce à ce confident, l’amour qui existait entre
eux pourrait être tenu en secret. Mais ce confident, qui avait accepté le rôle
d’intermédiaire, manqua aux devoirs de la fidélité et se mit à agir pour son
propre compte : il déclara son amour à la dame qu’il était chargé d’informer,
et la dame eut l’indélicatesse de le payer de retour. Se faisant la complice de
sa fourberie, elle lui accorda son amour et combla tous ses vœux.
Le chevalier apprit bientôt ce qui s’était passé, et, ému de
la trahison dont il était la victime, dénonça tout le détail de l’affaire à la
comtesse de Champagne, lui demandant que ce crime fût jugé par un arrêt d’elle-même
et des autres dames de la cour. L’accusé, mis au courant, accepta lui aussi l’arbitrage
de la comtesse. Celle-ci, avant de rendre son jugement, convoqua auprès d’elle
soixante dames. Et l’affaire fut conclue de cette façon : « Que cet
amant fourbe, qui a rencontré une femme digne de ses mérites puisqu’elle n’a
pas eu honte de consentir à un tel crime, jouisse, s’il le veut, d’un amour mal
acquis,
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