L'Amour Courtois
et qu’elle-même jouisse dignement d’un tel ami. Mais que chacun d’eux
soit à jamais privé de l’amour de toute autre personne ; que ni l’un ni l’autre,
ne soit désormais appelé à des assemblées de dames et à des cours de chevaliers,
parce que l’amant a violé la foi de la chevalerie, et que la dame a agi
honteusement et contre la pudeur des dames en accordant son amour à un confident. »
Là aussi, il y a mise au ban de la société pour une faute qui n’est pas
seulement commise contre l’amant en titre de la dame, mais contre la chevalerie
d’amour tout entière, à laquelle l’amant n’a plus désormais le droit d’appartenir
à cause de sa forfaiture.
Un chevalier s’éprit d’une dame qui avait déjà un engagement
très sérieux avec un autre homme. Il obtint cependant d’elle l’espérance d’être
aimé, de sorte que, s’il arrivait un jour que la dame fût privée de l’amour de
son amant, elle promettait alors ses faveurs au chevalier. Peu de temps après, la
dame en question se maria avec l’homme qui était son amant. Le chevalier
demanda alors l’accomplissement de la promesse qu’elle lui avait faite, mais la
dame s’y refusa obstinément, prétendant qu’elle n’était pas privée de l’amour
de son amant.
Le cas fut soumis à Alix de Champagne, reine de France, qui
répondit ceci : « Nous n’oserions pas contredire l’arrêt de la
comtesse de Champagne qui a conclu, par un jugement solennel, que le véritable
amour ne peut étendre ses droits entre époux. Ainsi nous souhaitons que la dame
susnommée accorde l’amour qu’elle a promis. »
On ne peut pas être plus direct : encore une fois, en
matière de véritable amour , le mariage est
tenu pour nul et non avenu, et la dame qui, avant de se marier avec son amant, eût
commis une faute grave en acceptant l’amour d’un autre homme, se doit, maintenant
qu’elle est mariée, d’obéir à la promesse qu’elle a faite à son soupirant, et
cela de la manière la plus licite qui soit. D’ailleurs, comme le dit Marie de
Champagne, « un précepte d’amour nous apprend qu’aucune épouse ne pourra
recevoir la récompense du roi d’amour à moins de servir, en dehors des liens du
mariage, dans la chevalerie d’amour ». Cette légitimation de l’adultère, que
celui-ci soit réel (dans certaines conditions précises excluant d’ailleurs le
coït normal), ou qu’il soit simplement spirituel et moral, est une des
caractéristiques essentielles de la fin’amor , c’est-à-dire
de l’amour considéré comme un moyen de perfection, un mode opératoire à la
portée des amants sincères qui veulent accéder à un plan supérieur de la conscience.
2. LES DÉBATS DU CŒUR ET DE L’ESPRIT
Il est possible que les cours d’amour aient été le théâtre
de discussions passionnées entre poètes qui débattaient ainsi devant un public
choisi de thèmes qui leur étaient chers. Nulle part ailleurs que devant une
assemblée de dames, les troubadours, et par la suite les trouvères du Nord, eussent
pu mieux tirer avantage de leurs talents de poètes et de didacticiens.
Le sujet principal des poèmes des troubadours est en effet l’amour
et tout ce qu’il provoque de joies, de souffrances et aussi de problèmes divers.
La plupart du temps, les chansons qui nous ont été conservées se présentent
comme de véritables illustrations du code d’André Le Chapelain. Et c’est
notamment vrai pour deux formes poétiques très à l’honneur aux XII e et XIII e siècles,
la tenson et le partimen ou jeu-parti , qui sont des poèmes dialogués
faisant intervenir deux ou plusieurs personnages réels ou imaginaires.
La tenson , que les
trouvères du Nord appellent « débat », est constituée par une discussion
entre deux troubadours qui soutiennent respectivement des opinions opposées
relatives à une même question. Cette discussion pouvait porter sur tous les sujets,
religieux, littéraires, politiques, mais concernait le plus souvent des
questions de casuistique amoureuse.
Mais si, dans la tenson , le
débat se développe librement, dans le jeu-parti ,
c’est le questionneur lui-même qui pose à son interlocuteur le choix entre deux
hypothèses, obligeant celui-ci à trouver des arguments que lui-même combattra
automatiquement. Cette discussion se termine toujours par un jugement, et ce
sont les partenaires eux-mêmes qui désignent le ou les arbitres, généralement
le maître ou la
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