L'Amour Courtois
maîtresse de maison. Et il est probable que cette façon de
faire a été à l’origine de nombreuses légendes concernant des cours d’amour
purement imaginaires.
D’après ce que nous connaissons des œuvres des troubadours, il
est possible d’établir une véritable liste des sujets qui ont été débattus le
plus souvent. Chacun de ces sujets est à lui seul une illustration du code d’amour,
et a le mérite de poser dans des faits précis une règle qui, par nature, se
doit d’être générale.
Les problèmes soulevés sont d’ailleurs universels. « Qu’est-ce
qui serait le plus supportable, que votre maîtresse soit morte, ou qu’elle en
épousât un autre ? » Il va sans dire que la réponse à cette question
dépend de la sensibilité de chacun, mais on peut affirmer sans crainte que
celui qui choisit la seconde solution (que la maîtresse épouse un autre homme) manifeste
un amour beaucoup plus total et altruiste que celui qui préférerait sa maîtresse
morte : car ainsi, il transcenderait son égoïsme personnel, visant avant
tout le bonheur de celle qu’il aime, même de façon désespérée.
Voici apparemment une question sans réponse : « Qui
souffre le plus, du mari dont la femme est infidèle, ou de l’amant que sa
maîtresse trompe ? » Dans la logique courtoise, le mari ne doit pas
être jaloux de son épouse, puisque la jalousie est inexistante entre les époux :
il faudrait donc dire que c’est l’amant qui souffre le plus. Mais il y a des
cas qui échappent à la codification, et la littérature médiévale nous a montré
des maris torturés de jalousie et en venant à des solutions extrêmes.
La vantardise des hommes n’est pas oubliée. « Doit-on
plus blâmer celui qui se vante des faveurs qu’on ne lui a pas accordées, que
celui qui publie celles qu’il a reçues effectivement ? » Une règle
absolue du code d’amour veut que l’on ne divulgue jamais les secrets des amants :
il est donc bien évident, à première vue, que celui qui publie les faveurs qu’il
a reçues est le plus blâmable. Mais, à y réfléchir, l’autre, celui qui se vante
de faveurs qui n’ont jamais été obtenues cause un tort considérable, par ses
mensonges, à celle qui est supposée avoir accordé lesdites faveurs, et cela est
également contraire au code d’amour. De toute façon, on sait très bien que ceux
qui se vantent le plus de leurs succès auprès des femmes sont ceux qui, en
réalité, en font le moins. D’où le mépris dont on peut envelopper ce genre de
personnage.
Parfois la casuistique prend des tournures directes, mais
qui n’en sont pas moins subtiles : « Si vous aviez un rendez-vous, la
nuit, avec votre maîtresse, préféreriez-vous me voir sortir de chez elle au
moment où vous y entrez, ou, au contraire, de me voir y pénétrer alors que
vous-même vous partez ? » Le problème de la jalousie est ici
largement dépassé : il s’agit seulement de savoir quelle satisfaction est
la plus grande pour l’amant, être le premier, ou succéder à un autre. L’amour-propre
supposerait la préférence de la première solution, car il est toujours flatteur
de succéder : cela prouve que l’autre n’a pas donné satisfaction. Mais
quelle est la place de l’amour véritable, qui ne souffre pas de partage, dans
ce dilemme beaucoup plus fréquent qu’on le pense ?
De toute façon, ce genre de débat cerne de près une définition
de l’amour, sans jamais d’ailleurs y parvenir vraiment. « On vous propose
de coucher avec votre amie une seule fois, mais à condition que vous ne la
reverrez plus de toute votre vie, ou bien de la voir tous les jours sans jamais
rien obtenir d’elle : qu’allez-vous donc choisir ? » Le
véritable amour, qui transcende les pulsions sexuelles, inclinerait en faveur
de la seconde solution : les troubadours ne se font d’ailleurs pas faute
de développer ce thème, tombant en extase au passage de leur dame dont la vision
leur permet de survivre. Mais la première solution met en valeur un autre thème
bien connu, celui de la « Brève Rencontre », et qui a tant de fois
été exploité dans la littérature et surtout au cinéma. Il est en effet possible
de vivre en quelques heures la totalité d’un amour sans lendemain, parce que l’éternité
est peut-être la possibilité de saisir le bonheur dans la fulgurance de l’instant.
Le débat peut même porter sur des questions de pure technique :
« Deux
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