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L'Amour Courtois

L'Amour Courtois

Titel: L'Amour Courtois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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Moyen
Âge. La fin’amor était une de ces tentatives
pour échapper au Temps. Mais l’Église catholique romaine avait besoin du Temps
pour drainer les énergies et les faire servir (au sens strict du terme) les intérêts matériels de ceux qui se prétendaient
les héritiers du Christ. À quoi sert le pouvoir si l’on n’en abuse pas ? Le
temps disperse les énergies et affaiblit l’ardeur qui se manifeste dans l’instant
unique – et éternel – de l’amour. Déplacer l’objet du désir vers un au-delà
prometteur, ou simplement vers un lendemain qui chante, telle a été l’action de
l’Église catholique romaine au cours des siècles, et plus que jamais du XI e au XIII e  siècle.
Elle a réussi son entreprise au-delà de toute espérance. La dame de la fin’amor , lointaine, cruelle, inaccessible ? Très
bien. Mais quand Lancelot rejoint la reine dans la chambre et que se déroule un
authentique rituel d’amour qui débouche sur l’ineffable joie, cela devient
intolérable. C’est un péché .
    Pourtant, cette notion de péché semble absente de la légende
de Tristan et Yseult, cette autre histoire d’amour récupérée par les romanciers
du XII e  siècle et qui a mieux résisté aux
pressions cléricales parce qu’elle était probablement irréductible à une
quelconque problématique chrétienne. Tristan et Yseult n’ont jamais commis de
péché, et « Dieu protège les amants », comme il est répété si souvent
dans les différents textes de la légende. Il est vrai qu’on a pris soin d’inventer
le fameux philtre « bu par erreur »
par les deux héros, et qui arrange bien les choses : si Tristan et Yseult
s’aiment, ce n’est pas de leur faute. Or, s’il n’y a pas de péché par intention,
il n’y a pas de péché du tout, il n’y a que des circonstances malheureuses qui
peuvent à la rigueur faire pleurer dans les chaumières.
    C’était oublier les origines de la légende et surtout l’archétype
irlandais où la jeune Grainné, dont le nom provient du mot qui signifie « soleil »,
lance un redoutable geis sur celui qu’elle
choisit pour amant. La responsabilité de l’héroïne est totale, mais dans l’optique
celtique, il n’est absolument pas question de lui imputer cela à péché. D’où la
tranquille assurance des romanciers anglo-normands, et de leurs imitateurs
allemands, à nier tout péché de la part de Tristan comme d’Yseult. Cela va très
loin, jusqu’au fameux serment ambigu que
prononcera Yseult face au monde entier, et qui, sous le regard de Dieu – donc
avec sa complicité – fournira la preuve indiscutable que Tristan et Yseult n’ont
jamais eu de rapports sexuels. Cela est très étonnant, mais force nous est de
constater que les transcripteurs de la légende de Tristan ont gommé
systématiquement toute idée d’adultère, alors que nous sommes en plein cœur du
problème.
    Il est vrai que l’on a prétendu que le roman de Tristan, dans
ses différentes versions, était le modèle de l’œuvre anti-courtoise, et qu’il n’y
fallait donc pas chercher la moindre trace de fin’amor .
C’est vite dit.
    D’ailleurs, les mêmes commentateurs, qui s’érigent volontiers
en critiques définitifs, en viennent eux-mêmes à considérer deux versions d’esprit
différent et même opposé de cette légende incontestablement d’origine
irlandaise, et qui, depuis, a largement fait le tour du monde sans qu’on s’interroge
sur sa signification profonde [63] . La première version, représentée
par les fragments du roman de Béroul (vers 1165), serait la version dite « commune »,
parce qu’elle serrerait de près un original perdu et dont Chrétien de Troyes
aurait pu s’inspirer dans le conte d’ Yseult la Blonde qu’il a écrit au début de sa carrière et qui a malheureusement disparu. La
seconde version, répercutée avec le succès que l’on sait par le poète allemand
Gottfried de Strasbourg, est celle de Thomas d’Angleterre : ce serait la
version « courtoise », parce que les longs développements psychologiques
de l’auteur ne sont pas sans rapport avec la casuistique des troubadours et des
cours d’amour.
    Pourtant, en première analyse, la problématique agitée dans
l’histoire de Tristan et Yseult ne concerne pas la fin’amor  :
il s’agit essentiellement d’un amour immense, fatal, dû à une cause magique, entièrement
irrationnel, source de troubles publics et d’une déchéance sociale très

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