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L'Amour Courtois

L'Amour Courtois

Titel: L'Amour Courtois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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Kaï, et
pour laver celui-ci de tout soupçon. D’ailleurs, avant le combat, Lancelot n’a
aucune peine, ni aucune vergogne, à jurer sur les saintes reliques – auxquelles
par ailleurs il ne croit guère, selon la remarque de Chrétien de Troyes – que
Kaï est innocent du crime dont on l’accuse. Tout cela préfigure le fameux « serment
ambigu » auquel se livre Yseult, dans le roman de Béroul, quand elle jure
n’avoir jamais ouvert les cuisses à d’autres hommes que son mari, le roi Mark, et
le vagabond qui vient de lui faire passer un marécage sur son dos, et qui est
Tristan déguisé. Comme quoi, dans les récits romanesques tout au moins, on en
prend à son aise avec les rigides règles de l’amour courtois.
    Il est vrai que l’amour courtois est presque nécessairement
adultère, et surtout qu’il doit rester secret : donc, tous les moyens sont
bons pour garantir la non-divulgation d’une relation qui ne peut être valable
que dans la négation des lois morales habituelles. Le couple Guenièvre-Lancelot,
qui donne pourtant sa force et son équilibre à la société arthurienne (du fait
que Lancelot, en obéissant à la reine, se montre le plus fidèle soutien de la
communauté qu’elle représente) est un couple entièrement marginal dont la
survivance et la nature même ont besoin du silence et de l’ombre. L’action de
ce couple est pernicieuse dans la mesure où elle s’accomplit sans le regard des
autres. Et les autres, ce sont les hommes, les guerriers, ceux qui d’un seul
éclat de voix pourraient tout obtenir et qui cependant se taisent, hantés qu’ils
sont par l’image flamboyante de la femme qu’une puissance démoniaque a
introduite dans leurs rangs. Étrange façon d’agir, ou plutôt de ne pas agir.
« La féodalité courtoise, une société de maîtres, a paré la Dame des attributs
de la toute-puissance : à travers Elle, l’unique maîtresse, l’homme, suivant
le leurre de son désir, entrevoyait un autre rivage qui ne fût pas celui de sa
mort, mais où il se découvrît mortel, terre inconnue où existât une femme [59] . »
    Car Lancelot n’arrête pas de vaincre la mort. De combat en
combat, de rencontre en rencontre, parfois même au prix des plus dures
souffrances, il est l’éternel Orphée qui ramène le fantôme d’Eurydice. Mais
sommes-nous certains que c’est lui qui ramène Eurydice ? Ne serait-ce pas plutôt
le fantôme d’Eurydice qui ramène Lancelot sur cette terre des vivants ?
    Dans la suite de son récit, Chrétien de Troyes nous montre
encore Lancelot dans les combats. Il participe de façon anonyme à un tournoi, en
présence de Guenièvre. Or Guenièvre lui fait dire de combattre au pire. Et Lancelot
s’exécute : il se dérobe aux coups de ses adversaires, il agit comme un
lâche. Ce faisant, il réactualise son errance dans la charrette d’infamie. Il
se néantise . Il devient vacuité pure. Et tout
cela parce que la dame, la maîtresse tyrannique qu’il a choisie, le lui a
ordonné. Il combat « au pire » puisqu’elle le veut. Mais quand vient
l’ordre de combattre « au mieux », tout s’éclaire : le voici
vainqueur de tous, et rien ne pourra l’arrêter dans sa marche triomphale et
triomphante. Lancelot a dû comprendre qu’il fallait se replier sur soi-même
pour mieux sauter, qu’il fallait faire le vide en soi pour mieux le remplir
ensuite.
    Mais le remplir avec quoi ? La réponse est en Guenièvre.
Mystérieuse et inaccessible pour le commun des mortels, la reine est une déesse
aux multiples visages qui ne peut elle-même survivre que dans l’amour qu’elle
porte à celui qu’entre tous les chevaliers du monde elle a choisi pour être sa moitié . Car le couple infernal de l’amour courtois
reconstitue la dyade primitive, et c’est seulement cette dyade qui peut
construire un monde nouveau.
    Le problème, c’est qu’avant de construire un monde nouveau, il
est nécessaire de détruire l’ancien. Chrétien de Troyes ne s’en préoccupe guère.
Dans le récit du Chevalier à la charrette , après
avoir montré Lancelot vainqueur, il le fait devenir prisonnier d’une traîtrise
de Méléagant. Une fois Lancelot enfermé dans une tour, symbole très éloquent, Chrétien
de Troyes se désintéresse visiblement du sort de son héros. Il ne termine pas
son roman et charge le clerc Geoffroy de Lagny d’y ajouter une conclusion. Bel
exemple de collaboration littéraire, dira-t-on. Mais le Moyen Âge

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