L'Amour Courtois
il ne se comporta pas une seule nuit
jusqu’à la fin de l’année autrement que la première. » Puis, lorsque Pwyll
a éliminé le rival d’Arawn, il va trouver celui-ci et chacun d’eux retrouve sa place
et son aspect normaux. Et c’est ainsi que Pwyll méritera désormais son titre de Penn Annwfn , « maître, ou chef de l’Autre
Monde » qualification qui va d’ailleurs fort bien à l’archétype du
Roi-Pêcheur, gardien du Graal.
Certes, on pourrait parler ici de cette curieuse ascèse en
usage chez les moines des pays celtiques de coucher avec une belle femme sans
la toucher aucunement, afin de se prouver qu’ils pouvaient résister aux
tentations et transcender leur état humain. L’épreuve qui est imposée à Pwyll
est sans doute de ce type. Mais elle est aussi une sorte d’épreuve de fin’amor . Et, sortant vainqueur de cette épreuve, Pwyll
est considérablement transformé par le contact qu’il a eu avec la reine d’Annwfn,
laquelle n’est autre qu’une des images de la déesse des commencements. C’est
pour cela qu’il mérite son surnom de chef d’Annwfn :
en fait, c’est la reine qui le lui a donné, contribuant ainsi à métamorphoser
complètement le personnage et à lui donner un caractère divin. N’est-ce pas le
but profond et réel de la fin’amor ?
D’ailleurs, l’ascèse accomplie par Pwyll en s’abstenant de
tout rapport avec la reine d’Annwfn n’est pas gratuite : elle constitue
seulement une sorte de purification nécessaire avant de se trouver devant la
figure authentique de la déesse, figure authentique qu’il est impossible de
pouvoir contempler sans une préparation initiatique. C’est là qu’apparaît la
signification de la fable. Et, peu après, Pwyll devenu Penn Annwfn va rencontrer et épouser la cavalière
Rhiannon, c’est-à-dire la « Grande Reine », qui est réellement l’incarnation
parfaite de la déesse des commencements. Ainsi s’est accompli le hiérogame par
étapes successives d’initiations et de purifications. Ainsi se constituera le couple infernal du dieu de l’Abîme, dépositaire des
secrets du monde et de la déesse-mère des commencements, celle qui donne la vie
et répartit les biens de ce monde entre tous ses enfants.
Car si la dame de l’amour courtois n’est jamais présentée
sous son aspect maternel – ce qui n’aurait aucun sens dans ses rapports avec
son amant –, elle est cependant la mère symbolique
auprès de laquelle viennent se nourrir ses amants qui sont également ses
enfants. On rejoint ici un thème métaphysique que les théologiens catholiques n’abordent
jamais sans effroi, ce qui est bien compréhensible étant donné leur cheminement
vers une impasse, le thème de la Vierge Marie, épouse du Saint-Esprit et mère
de Jésus. Or, comme la Trinité est composée de trois personnes qui sont toutes
les trois Dieu lui-même, il faut avouer que cela pose quelques difficultés d’interprétation.
En un mot, qui est donc la Vierge Marie sinon la mère et l’amante (sinon l’épouse)
de Jésus-Dieu ? La question est embarrassante au possible.
Précisément, une légende galloise recueillie plus tardivement,
mais empreinte de traits archaïques, la légende du barde Taliesin, jette
quelque lumière sur le problème de la dame, à la fois mère et maîtresse. Le
personnage central est une certaine Keridwen qui, en compagnie de son époux
Tegid le Chauve, demeure au milieu d’un lac. L’image est précise et se réfère
évidemment au même thème que celui de l’île d’Avallon. Or Keridwen a un fils, Afang-Du,
qui est une sorte de monstre défavorisé. En fait, le nom signifie « castor
noir ». Il semble que sous cet aspect se cache une réminiscence du dragon
ou du serpent, animal lié à la déesse-mère et qui, en réalité, est une de ses
composantes symboliques essentielles. Cependant, pour donner à son fils
intelligence et beauté, Keridwen fait bouillir un chaudron magique et charge un
certain Gwyon Bach (= le petit savant) de surveiller le déroulement de la
cuisson. Or trois gouttes du liquide tombent sur le doigt de Gwyon Bach qui
porte son doigt à sa bouche et absorbe les trois gouttes : « À l’instant
même, il vit toutes choses à venir [78] et sut qu’il devait se
garder des artifices de Keridwen, car grande était son adresse. En proie à une
peur irrésistible, il s’enfuit vers son pays [79] . »
Cependant, Keridwen, furieuse, le poursuit avec
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