L'Amour Courtois
la
Sainte-Trinité. Le mot par lequel on désignait l’Esprit-Saint était neutre en
grec, mais féminin en araméen et en hébreu. La gnose eut vite fait de remplacer
le neutre grec pneuma (littéralement le « souffle »)
par le mot féminin sophia (la « sagesse »),
le terme s’employant indifféremment au masculin ou au féminin, mais désignant
nettement les traits et les caractères féminins de la divinité. Ainsi s’explique
d’ailleurs le vocable de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople.
Mais « Sainte-Sophie » n’est qu’un vocable. Or, les
gnostiques ne s’en tenaient pas là : ils considérèrent « Sophie »
comme étant la propre mère de Jésus, et ils l’adorèrent comme une déesse.
La réaction ne se fit pas attendre. Épiphane, l’un des Pères
de l’Église (315-403), condamne sans équivoque tous ceux qui rendent un culte
particulier à Marie : « Le corps de Marie est saint, mais il n’est
pas divin ; elle est vierge et digne de grands honneurs, mais elle ne doit
pas être pour nous un objet d’adoration. » Quant à saint Ambroise, dont l’influence
sur saint Augustin fut considérable, il affirmait que « Marie était le
temple de Dieu et non le Dieu du Temple, c’est pourquoi seul doit être adoré
Celui dont la présence anime le Temple. » Mais l’explication de saint
Ambroise cache un malaise : si Marie est le temple de Dieu, c’est que c’est
un contenant . Or, comme Jésus-Dieu est le contenu , comment considérer le contenant comme inférieur au contenu , celui-ci risquant d’être souillé par son séjour
dans le contenant , c’est-à-dire dans Marie ?
C’était donc le point de départ de toute une problématique théologique à propos
de Marie, mère de Dieu, et qui allait déboucher sur le dogme de l’Immaculée
Conception, lequel était finalement un moindre mal, puisqu’il empêchait qu’on
considérât Marie comme l’égale de Dieu, c’est-à-dire une « déesse ».
C’est pourtant ce qu’avançaient les gnostiques, s’exprimant
en terme de mystiques mythologique et cosmologique, opérant un mélange assez
synthétique entre les éléments dits païens et les éléments judéo-chrétiens. Les
éléments païens, c’était la grande déesse aux multiples visages, aux multiples
fonctions et aux multiples noms, mais de toute façon la Mère universelle, créatrice
de toutes les énergies. Les éléments judéo-chrétiens, c’étaient d’abord la
Jérusalem céleste, image symbolisant l’humanité future, puis l’ assemblée elle-même des participants à cette
Jérusalem céleste, autrement dit l’ Ecclesia , l’Église
(catholique romaine bien entendu). D’où les qualificatifs abondamment répandus
depuis dans le langage hyperbolique des théologiens et des fabricants de
sermons, du genre de « Notre très sainte mère l’Église ». Jésus
lui-même, d’après les Évangiles, fait allusion à cette Jérusalem céleste, et il
en parle en termes féminins. Saint Paul la définit comme « notre mère ».
C’est la seconde Ève (celle qui vient écraser la tête du serpent), la véritable
mère des vivants, à travers laquelle nous est communiquée la vie spirituelle du
Christ, lui-même le nouvel Adam. Finalement, l’Église était représentée comme l’épouse
du Christ à peu près comme la nation israélite était l’épouse de Yahvé, et,
« par le baptême », les convertis devenaient les enfants de la Vierge
mère, et l’on comparait les fonts baptismaux à son utérus […] C’est ainsi que
le principe féminin, personnifié initialement par la Magna
Mater , se mua en Mater Ecclesia , à la
fois Épouse et corps du Christ, et devint Mère des croyants [81] .
N’oublions pas que dans le sacrifice de la messe, le prêtre, incarnation de l’ assemblée qu’est l’Église, donc principe féminin, provoque
les propres épousailles de cette assemblée avec Jésus-Dieu qui descend sur l’autel.
Saint Paul n’a guère accordé d’importance à ce problème qui
lui paraissait mineur, sinon hors de propos. Par contre, le prêtre Arius, fondateur
de l’arianisme, et qui était d’Alexandrie (où se mêlaient à la fois les
influences proche-orientales et gnostiques), soutint, pendant le premier tiers
du IV e siècle, une longue lutte
idéologique avec saint Athanase qui fut évêque d’Alexandrie en 328, sur la
définition à donner à l’Incarnation. Arius, refusant de reconnaître en Jésus
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