Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
Vom Netzwerk:
levé en sursaut. Un spasme serrait la gorge de Dubon. Tout le monde s’était tu. Dans une suspension terrifiée, on attendait le tonnerre des canons.
    La fusillade se répercutait en roulant sur la Seine où elle avait frappé les oreilles du jeune Dubon dans son bateau amarré non loin de l’Arsenal. Fernand pêchait aux abords de l’île Louviers, située entre la pointe de l’île Saint-Louis et la rive droite. Il avait pris là son barbeau, la veille. Il espérait bien aujourd’hui en sortir un autre de ces eaux limoneuses, encore troublées par l’orage. Tout en surveillant les lignes de fond jetées de sa barque dans un remous, il rêvait. Ce chenal étroit, solitaire entre la berge broussailleuse du Mail avec ses vieux ormes, et les taillis de l’île Louviers bordée ici de joncs et d’iris, encadrait dans la songerie de l’adolescent des images mythologiques. Au collège, on expurgeait Ovide et les poètes grecs. Les bons pères en chassaient soigneusement l’amour, les nudités. Mais quand on est hanté par le mystère féminin, quand on a des yeux pour voir les statues et les tableaux, on n’éprouve point de peine à placer là, au bord de l’eau, dans l’ombre criblée de rais lumineux par le soleil sorti juste à point des nuages, la silhouette d’une nymphe Salmacis ou d’une Arthémis surprise à l’instant que, prête à rejeter son dernier voile, elle tâte de l’orteil cette onde lente. Ou bien les claires rondeurs d’une Antiope endormie entre ces courtines de lierre.
    Ce fut au milieu de ce songe que le bruit de la mousqueterie, pareil au déchirement d’une gigantesque étoffe, fit sursauter le garçon. Il crut d’abord que quelque chose avait éclaté à l’Arsenal. Non, c’étaient des coups de fusil, comme il en retentissait çà et là par moments, depuis deux jours, non plus espacés mais continus, roulants, accompagnés par une clameur. Un instant, le jeune pêcheur balança. La curiosité fut en lui la plus forte. Il releva ses lignes, et, ramant avec vigueur, rangea l’île Louviers. Les bâtiments de l’Arsenal lui apparurent en plein soleil, dominés par le massif de la Bastille. Entre les deux, montait en volutes vers le ciel pâle une fumée rousse qui se mêlait en haut des tours à des flocons de fumée blanche. La brise du nord-est, nettoyant le temps, apportait une odeur de paille ou de foin brûlé. La clameur, plus distincte, la pétarade, moins régulière, duraient toujours.
    À l’Hôtel de ville, on voyait avec consternation arriver des blessés. Dieu merci ! Launay jusqu’à présent ne faisait pas tirer ses canons, mais la menace demeurait. Déjà, il n’y avait que trop de victimes. Des dizaines, annonçait-on. « Comment cela a-t-il pu se produire ? » s’exclamait l’horloger Désessarts atterré. On lui expliquait que des hommes, dont un charron, ayant brisé à coups de masse les chaînes retenant le premier pont-levis, les Suisses avaient accueilli par une grêle de balles la foule qui envahissait la cour du Gouvernement. Les gens affolés, furieux, ajoutaient : « Allez-vous arrêter ce massacre ! Qu’attendez-vous donc ?…» Malgré les objurgations de l’abbé Fauchet, Flesselles ne se résolvait pas à sommer M. de Launay, comme lui serviteur du Roi, de se rendre à la ville. Excédé, l’abbé partit avec Thuriot et quelques officiers de la milice pour faire lui-même cette sommation, afin de mettre dans la place une garde bourgeoise. Ethis de Corny emmenait en même temps une autre délégation. Dubon et Saint-Méry s’occupaient des blessés, commandaient des voitures, des brancards pour les transporter à l’Hôtel-Dieu, proche.
    Le jeune Fernand avait abordé au quai de l’Arsenal, puis fait le tour en courant par la contrescarpe, le long des fossés de Paris. Il arrivait à la jonction du faubourg avec la rue Saint-Antoine. Là il trouva de nombreux équipages dont les maîtres en beaux habits se mêlaient à une foule de curieux remplissant la rotonde de la porte Saint-Antoine, le cours, la place de la Bastille. On entendait les hurlements, les coups de feu, mais on n’apercevait rien que de la fumée et une autre foule plus populaire, massée dans la rue Saint-Antoine. Tout semblait se produire sur la face sud, du côté de l’Arsenal. Fernand, se faufilant parmi les groupes, s’avança vers une porte cochère prise, à l’angle de la place, entre deux des boutiques cachant les fossés. Les vanteaux

Weitere Kostenlose Bücher