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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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lançait des rondes aux alentours.
    Un ciel maussade se reflétait dans la Seine couleur d’huître quand Dubon se leva, rompu. Ses quarante-quatre ans, légers jusqu’à ces derniers temps, lui pesaient ce matin. Après s’être fait la barbe, arrachant la feuille du calendrier pour en essuyer son rasoir – une manie –, il constata que l’on était au mardi 14, et soupira. Encore deux jours, sinon trois, avant de pouvoir se flatter de tenir la situation en main. À ce moment, on serait garantis contre la Cour, d’une part, de l’autre contre la canaille et les brigands. Que de besognes, d’ici là ! Dans la débâcle du pouvoir, toutes les tâches, toutes les responsabilités leur tombaient sur le dos, à eux, les élus de la Commune. Ils devaient veiller à tout. Assurer les subsistances, assurer l’ordre, assurer l’armement de la milice. Car il faudrait, évidemment, trouver pour ces cinquante mille hommes autre chose que des piques ou les quelques armes à feu des particuliers et des arquebusiers. Les piques seraient bonnes, à la rigueur, contre la racaille, mais dérisoires si la Cour commettait la folie de lâcher ses régiments sur Paris. La brutale réponse du Roi, telle que l’avait rapportée l’abbé Fauchet en revenant de Versailles, faisait craindre une éventualité de ce genre, à laquelle Dubon n’avait pas cru jusque-là.
    En gagnant l’Hôtel de ville, il retrouva aux abords l’affluence fiévreuse de l’avant-veille. Sur le socle de la croix dominant la levée, près de la berge, un gros individu debout, très laid, grêlé, bien connu comme agent d’Orléans, criait que la cavalerie autrichienne avait quitté Saint-Cloud, qu’elle s’avançait, menaçante. Et le peuple hurlait encore, toujours : « Des armes ! Donnez-nous des armes ! »
    Carra, l’abbé Fauchet, Bonneville, discutaient vivement avec Ethis de Corny.
    « Il faut aller aux Invalides, dit Bonneville à Dubon. Les fusils de la manufacture y sont déposés, du moins en grande partie, on le sait à présent. Je prétends que Corny, comme procureur près la ville, a qualité pour les exiger du vieux Sombreuil.
    — Il ne les livrera point, soyez-en sûr.
    — Vraiment ? fit Carra. Mes amis, lança-t-il en montant sur sa chaise, les fusils sont aux Invalides. Allons ensemble les chercher. »
    Un rugissement lui répondit, vingt bras l’enlevèrent. Bonne-ville, l’abbé Fauchet, Ethis de Corny, cinq autres électeurs suivirent le flot. La Grève se vida d’un coup. Un instant, on entendit encore la rumeur qui s’éloignait. Puis silence. Un énorme silence. Le sifflement des martinets au-dessus de la place le rendait encore plus compact.
    « Eh bien, pas de doute, ils les auront, les fusils, dit Dubon à son vis-à-vis, l’avocat rémois Thuriot de la Rozière. Mais je me demande qui s’en servira.
    — Peu importe, répliqua cet homme rude de traits comme de caractère. Nous ne sommes pas assez forts pour tenir tête tout ensemble à la populace et à la Cour. L’ennemi, c’est elle. »
    D’autres que Bonneville avaient appris où trouver des fusils. Une colonne sortie du Palais-Royal, conduite par Desmoulins et Duvernay reparu, précédait celle de Carra en direction des Invalides. Une troisième descendait de Saint-Étienne-du-Mont, avec en tête le curé de cette église où le district tenait son assemblée.
    Peu d’instants plus tard, quelques bonnes gens du quartier Saint-Antoine se présentaient à l’Hôtel de ville pour exposer leurs alarmes au comité. Vous comprenez, messieurs, expliqua le porte-parole – un vieil artisan à cheveux gris – à la Bastille, ces derniers jours, on a mis du canon partout. On a monté sur les plates-formes de la ferraille, de vieux boulets, des pavés. Tout cela est très menaçant. Surtout, il y a les gros canons des tours. On les voit luire dans les embrasures des créneaux. Ils sont braqués sur nos maisons. S’ils tiraient, ce serait un malheur effroyable. Cela pourrait arriver par accident. Ne voudriez-vous pas demander à M. le gouverneur de Launay qu’il les fasse ôter ? »
    Moreau de Saint-Méry, remplaçant Flesselles à la présidence, dit à ces braves gens de se rassurer. Personne ne nourrissait l’intention d’attaquer la forteresse, elle n’avait aucun motif de tirer. « Au surplus, ajouta-t-il, afin de vous donner tous apaisements, nous allons envoyer quelques émissaires à M. de Launay. »
    On en désigna trois, qui

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