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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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rue Saint-Nicaise tandis que les autres, par la petite rue des Orties, gagnaient le guichet des galeries du Louvre, dont le fronton et le clocheton se découpaient en noir sur le ciel d’étain. Là, Legendre, qui habitait près des Cordeliers comme Desmoulins et Danton, les quitta pourtant. Il n’était pas satisfait. Au lieu de rentrer chez lui, il descendit vers le PontRoyal bien clair entre les lanternes de ses parapets ; des factionnaires veillaient à chaque bout. Puis il longea la terrasse au bord de l’eau. Les réverbères à potence scellés tout le long du mur éclairaient le quai, les bateaux endormis sur la Seine, les frondaisons de la terrasse, faisaient étinceler les baïonnettes des sentinelles. Par-dessus le rebord, on voyait ces minces lueurs d’acier sortir régulièrement de l’ombre projetée par chaque arbre et y rentrer après un demi-tour. Place LouisXV, il y avait tout un poste de sectionnaires qui bavardaient bruyamment. L’auberge du Suisse ne manquait pas de pratiques : à sa porte, deux locatis attendaient les soupeurs. Le pont tournant était soigneusement gardé. Entre les piles de l’entrée monumentale surmontées par l’envol des chevaux de pierre, la façade du château brillait dans la perspective de l’allée centrale vide, blanchoyante. Legendre se retourna. La nuit s’épaississait sous les frondaisons obscures du Cours-la-Reine fermé par sa grille et des Champs-Elysées coupés en deux par l’avenue des Tuileries. Là, c’était déjà la campagne, avec, à droite, la pointe poussée par le faubourg Saint-Honoré. À des fugitifs parvenus jusqu’à cette frontière si proche du château, l’évasion serait facile. Mais il semblait bien que l’on montât bonne garde. Même le cul-de-sac de l’Orangerie avait ses sentinelles.
    Le maître boucher, décidé à regagner ses pénates, reprit la rue Saint-Honoré. Une fois revenu à l’entrée de la rue de l’Échelle, obsédé par le message qu’il portait en poche, il ne put s’arracher de ces lieux. À pas lents, les mains derrière le dos, il retraversa la placette du Petit-Carrousel en examinant la masse sombre des maisons encastrées dans les communs. Devant l’hôtel du Gaillarbois, un locatis tout semblable aux fiacres stationnant à l’autre bout des Tuileries, chez le Suisse, attendait, son cocher somnolant sur le siège, une silhouette de femme à l’intérieur. Sans doute un rendez-vous galant. Tout était comme à l’ordinaire : des gens passaient, parlaient. En bande, des jeunes gens et des filles riaient très haut, plaisantant avec les sentinelles qui répliquaient gaillardement. Legendre poussa jusqu’à la Grand-porte. Des sectîonnaires cordeliers le reconnurent, il engagea la conversation et leur communiqua l’avis qu’il avait reçu. « Bah ! lui répondit-on, voyez, une souris ne traverserait pas la cour sans que nous l’apercevions ! »
    Dans le château, les lumières s’éteignaient une à une. Bailly montait en voiture. Les courtisans fidèles, venant d’assister au coucher, achevaient de sortir en groupes ou isolément.
    Le tout dernier habitué : un gros homme en redingote vert bouteille, coiffure courte et chapeau rond, s’arrêta sur les degrés pour renouer le cordon de sa démocratique chaussure sans boucle. Il ressemblait un peu au Roi, dont il avait tout à fait l’épaisse tournure, mais les gardes le connaissaient bien : ils le voyaient passer ainsi tous les soirs ; c’était un certain chevalier de Coigny. Il se redressa et, prenant le bras d’un courtisan plus jeune qui l’accompagnait, s’éloigna dans l’ombre. Pendant ce temps, à travers galeries et pavillons, La Fayette procédait à l’ultime ronde. Il était tranquille : Sa Majesté l’avait longuement entretenu de la célébration constitutionnelle de la Fête-Dieu, à laquelle Elle désirait assister. En outre, le général laissait son lieutenant, Gouvion-Saint-Cyr, dans un fauteuil adossé à la porte même de la chambre où couchait la Reine, au rez-de-chaussée, dans l’aile du pavillon de Flore.
    Un instant plus tard, Legendre, qui faisait les cent pas avec ses Cordeliers sur le Carrousel, vit passer l’équipage de La Fayette. En tournant, la voiture frôla un couple marchant bras dessus, bras dessous : un jeune homme d’allure militaire, une femme en léger manteau flottant, avec un chapeau noir, à la chinoise. La garniture de dentelle lui masquait le visage. Elle tenait

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