L'Amour Et Le Temps
« vivre libre ou mourir » comme le voulait la devise de la société. « Encore un beau mouvement, observa Dubon. Il ne nous avance guère, tout se noie dans la sensibilité. »
Danton devait partager cet avis. Dès que la houle fut un peu calmée, il gronda puissamment : « Monsieur le Président, les traîtres arrivent. Qu’on dresse deux échafauds ; je consens à périr sur l’un si je ne leur prouve en face que leur tête doit rouler aux pieds de la nation contre laquelle ils n’ont cessé de conspirer. » Et, comme, dans l’instant même, La Fayette entrait, donnant le bras – chose incroyable – à son ennemi Alexandre de Lameth, avec Barnave, Duport, suivis par Sieyès, Le Chapelier, Lanjuinais, tous ceux que Camille surnommait férocement « la léproserie de 89 », Danton, escaladant les marches de la tribune, lança au général cette apostrophe : « Que venez-vous chercher ici ? dans cette salle que vos journalistes appellent un antre d’assassins. Et quel moment choisissez-vous pour vous réconcilier ? Celui où le peuple est en droit de vous demander votre vie. Vous avez juré que le Roi ne partirait pas ; vous vous êtes fait sa caution. De deux choses l’une : ou vous êtes un traître qui avez livré votre patrie, ou vous êtes stupide d’avoir répondu d’une personne dont vous ne pouviez pas répondre. Dans le cas le plus favorable, vous êtes déclaré inapte à nous commander. »
« Ah ! ce Danton ! s’écria Lise dont le sein battait. Il est terrible ! Il est magnifique ! »
Un peu pâle, le général se tournait vers Alexandre de Lameth, semblant l’inviter à le défendre. Lameth se leva. « Même quand j’ai dit le plus de mal de M. de La Fayette, déclara-t-il, j’ai toujours cautionné son patriotisme et j’ai dit qu’il se ferait tuer à la tête des patriotes dans le cas d’une contre-révolution. Je fais appel au témoignage de Danton lui-même. »
Celui-ci, qui avait repris sa place près de Desmoulins, se mordit les lèvres mais reconnut : « M. Lameth s’est en effet, plusieurs fois, expliqué sur le compte de M. La Fayette de cette manière. » On vit Camille, l’air furieux, parler à l’oreille de Danton, se lever pour courir à la tribune, et Danton le retenir par les basques, cependant que de tous côtés des voix réclamaient : « La Fayette, à la tribune ! »
Il y monta. « Je viens, dit-il, me réunir à cette société, car c’est dans son sein que tous les bons citoyens doivent se retrouver dans les circonstances où il faut plus que jamais combattre pour la liberté. »
Pendant ce temps, Dubon chuchotait à Claude :
« Danton a tort d’attaquer La Fayette dont le patriotisme n’est douteux pour personne.
— De toute façon, le coup frappe à côté. Soyons logiques ! Si les orléanistes, si les républicains, considèrent le départ du Roi comme un bienfait, que reprocher au général ? La foudre de Danton est en train de faire long feu. »
C’était exact. Claude connaissait bien ses Jacobins. Dans leur majorité, ils goûtaient la diatribe comme un beau morceau d’éloquence fulminante, sans y attacher d’importance. Pas plus qu’ils n’avaient cru, en dehors de la minute émotive, au complot dénoncé par Robespierre. On le vit bien lorsque, tour à tour, après La Fayette lui-même, Lameth, puis Sieyès, puis Barnave, répudiant les idées de violence, appelant tous les patriotes à la concorde pour le salut de la Révolution, furent, les uns et les autres, longuement applaudis.
Danton, enfonçant d’un coup de poing son bicorne d’uniforme, prit Desmoulins par le bras et quitta l’enceinte en lançant au passage à Claude et à Dubon :
« Restez-vous avec ces eunuques ? Moi, je vais aux Cordeliers.
— J’ai fort envie de l’y suivre, dit Dubon. J’aimerais voir s’il manœuvrera Legendre. »
Il rattrapa les deux amis quelques secondes plus tard, dans la nuit tombante. Ils se disputaient à mi-voix.
« Lameth, protestait Camille, m’a dit vingt… vingt fois le contraire de ce qu’il vient de prétendre. Presque tout ce que j’ai écrit sur La Fayette, je l’ai écrit sous sa dictée, sur sa ga… sa garantie. Pourquoi diable m’as-tu empêché…
— Ne fais donc pas l’enfant ! il faut ménager Lameth, ne cherche pas à comprendre. »
D’un ton brusque, comme Dubon arrivait, il ajouta qu’il allait proposer la déchéance du Roi. « Pour le
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