L'Amour Et Le Temps
sans même savoir, songeait Montaudon, ce qu’elle pourrait être ni comment et avec qui la réaliser.
L’Assemblée ne le savait pas davantage. Dans cette incertitude, malgré la pression des tribunes et les pétitions des sectionnaires qui avaient défilé à la barre tout le jour, elle suivait les modérés cherchant plus ou moins ouvertement un moyen de rabibocher le gouvernement constitutionnel. Montaudon s’assit près de Claude en lui demandant ce que l’on faisait.
« On rédige laborieusement une adresse à la nation pour lui expliquer les circonstances de « l’enlèvement » du Roi, car nous en sommes aujourd’hui à un enlèvement. Où es-tu passé depuis hier ?
— Ma dent. Tu as oublié ?
— C’est vrai. Excuse-moi. Dans tous ces arias ! Eh bien ?
— Oh ! répondit René avec un petit air désinvolte, je l’ai fait arracher. Dis-moi donc, vous avez découvert du nouveau ? Personne ne songeait à un enlèvement.
— Si, un peu. La Fayette, dans ses ordres à la garde nationale, et les triumvirs, hier soir, aux Jacobins, en ont parlé. C’était une formule sans consistance : de la rhétorique. Depuis, on lui a donné corps. En vérité, le Roi, dans son message, exprimait irréfutablement la volonté de partir ; ces messieurs de 89 sont en train de lui démontrer qu’il n’y entend rien, qu’il a bel et bien été enlevé.
— Ces messieurs de 89 ! chuchota Montaudon surpris. N’en es-tu pas, toi-même ? comme moi. Voilà bien le langage de ton ami, l’affreux Camille ! Tournerais-tu au républicain, maintenant ? »
Claude haussa vaguement une épaule sans répondre. L’influence de Desmoulins, de Dubon, de Pétion, de Brissot, des Roland – et de Lise – s’exerçait sur lui. S’il eût vu la possibilité matérielle de constituer une république, il n’eût point hésité. N’était-ce pas, au fond, le régime le plus convenable pour établir dans la société cette suprématie de la vertu individuelle et du seul mérite, cette démocratie complète dont il rêvait autrefois à Limoges ? Malheureusement, il ne voyait pas d’homme – ou d’hommes – auxquels on pût confier sans courir les plus grands risques l’exécutif d’un gouvernement républicain. C’était là, pensait-il, ce qui provoquait aussi l’indécision de Robespierre et sans doute les équivoques de Danton cherchant le biais dans une régence, plus ou moins républicaine, d’Orléans.
En outre, la manœuvre des triumvirs lui répugnait parce qu’elle reposait sur un effronté mensonge, qui le surprenait, le blessait même, de la part de Barnave, décidément trop insidieusement politique, capable aujourd’hui de proclamer sciemment une pareille contre-vérité. Et pourtant, dans un concours de circonstances paralysant toute autre tentative, il fallait bien, bon gré, mal gré, permettre cet essai de replâtrage de la monarchie. Encore faudrait-il pour cela négocier avec le Roi, et qu’il revînt. C’était difficilement imaginable.
Soudain, vers neuf heures, au moment où l’on allait lever la séance, une rumeur s’éleva dehors, grossit, battit les murs ; le cri entra dans le couloir, dans la salle : « Il est arrêté ! » Un homme exténué, en sueur, couvert de poussière, porté sur les mains croisées de deux gardes nationaux, fut conduit au président. Il lui déclara s’appeler Mangin, chirurgien à Varennes-en-Argonne. « Nous avons arrêté le Roi », dit-il en tendant un pli à Beauharnais. Dans ce message, la municipalité de Varennes annonçait à l’Assemblée que les voyageurs royaux étaient retenus dans la ville par le peuple, et demandait des instructions. Les tribunes éclatèrent en applaudissements auxquels des députés du centre et de la gauche s’associèrent, beaucoup sans enthousiasme. Claude s’abstint ; en aucune façon il n’y avait lieu de se réjouir.
Des instructions ! On ne pouvait évidemment en donner d’autres que de ramener la famille royale à Paris. Trois commissaires furent désignés pour cette tâche : Latour-Maubourg, monarchiste, ami de La Fayette ; Barnave, représentant la gauche modérée ; Pétion, la gauche extrême. On leur adjoignit l’adjudant général Mathieu Dumas, chargé de faire exécuter leurs ordres par la force armée.
Toutes dispositions prises après bien des discussions, des conciliabules dans les couloirs, Pétion gagna sa demeure, accompagné par Robespierre et Claude. Lise
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