L'Amour Et Le Temps
son essor. En ce mois de juin 91, elle venait de recevoir un coup qui pouvait bien être mortel. Robespierre, certainement, mesurait le péril mais, ne découvrant nul moyen d’y parer, s’en tenait à de vagues déclarations sur la nécessité de « trouver un coupable ». Danton, tonnant partout – aux Cordeliers, aux Jacobins – ne fournissait rien de viable. Ce « conseil à l’interdiction » qu’il proposait, c’était tout bonnement, sous une forme ménagée, la régence orléaniste dont on ne voulait à aucun prix. D’ailleurs Orléans – admis le 23, juste avant cette proposition, membre des Jacobins – reculait une fois de plus. Il paralysait les manœuvres de ses propres agents ou partisans.
Seuls, les « constituants » – que Desmoulins appelait « la racaille de 89 » – savaient ce qu’ils voulaient, seuls ils prenaient un parti pratique, comme Claude l’avait reconnu en lui-même dès avant l’annonce de l’arrestation du Roi. La Fayette, Barnave, les tout premiers, en traitant Louis non point comme un fugitif mais comme un souverain abusé, évitaient au pays les aventures. Il en était lui-même, au fond, de ces « constituants », avec lesquels il travaillait depuis longtemps, aux comités. Jusqu’à présent, il avait soutenu Barnave et le triumvirat, comme Montaudon le soutenait encore plus que jamais. Il exhortait Claude à faire de même. « Nous devons, lui disait-il, aider les triumvirs non seulement à rétablir le Roi mais en outre à lui rendre un pouvoir véritable. Il faut réviser la Constitution avant de la proclamer, il faut que le monarque soit véritablement le chef de l’exécutif. À sa place ne te serais-tu pas enfui, toi, si tu étais réduit au rôle de marionnette ? Nous vivons sous une oligarchie de comités quasi occultes, irresponsables, incontrôlés. Un roi doté des moyens de remplir réellement son rôle, voilà ce qui seul peut mettre un terme à cette dictature sournoise, désordonnée, et à celle des clubs. Une assemblée de représentants, édictant les lois, un souverain faisant exécuter celles-ci, n’est-ce pas ce que nous avons toujours voulu ? C’est l’unique moyen de conserver l’intégrité et la liberté nationales. L’unification définitive de la France ne peut s’opérer que sous les auspices du guide héréditaire de la nation. »
Claude savait tout cela, il ne lui paraissait guère possible pourtant de fonder un avenir sur une imposture, et c’en était une, aveuglante, de prétendre que le Roi ne fût point parti volontairement. Il en avait laissé, avec son mémoire à l’Assemblée, la preuve la plus formelle. Pétion, Barnave, dans leurs dépêches, signalaient bien la déclaration de Louis et des siens, selon laquelle le Roi, allant à Montmédy, ne voulait point sortir de France. On ne pouvait douter là-dessus de Pétion, seulement la chose n’était pas croyable. Pourquoi donc la Reine avait-elle envoyé ses diamants à Bruxelles ? Monsieur et sa femme, la comtesse de Provence, partis en même temps que le Roi, par une autre route, s’étaient-ils rendus à Montmédy ? Pas le moins du monde. Ils avaient franchi la frontière et se trouvaient présentement aux Pays-Bas, disait-on. De même, M me de Lamballe.
Ni l’attitude de Louis XVI rentrant aux Tuileries comme si rien ne se fût passé, ni certains détails du voyage rapportés par Pétion, ni même les propos du Roi à La Fayette, ne facilitèrent à Claude une prise de position. Même si Louis, comme il l’affirmait, avait enfin compris, quelle confiance pouvait-on lui faire ? Certes, Pétion ne cachait pas qu’à mainte reprise il lui avait produit bon effet. « C’est un brave homme, assurait-il, tout rond, fort timide au fond et du plus paisible naturel. On ne saurait se défendre de lui prêter intérêt. S’il était simple bourgeois, on s’en porterait volontiers l’ami, encore qu’il soit parfois apathique à un point déconcertant, comme vous l’avez vu vous-même. À de tels moments, on se demande s’il sent quelque chose. Malheureusement, avec tout cela, il n’a aucune des qualités d’un monarque. » Au sujet de la Reine, Pétion disait : « Elle veut tellement avoir du caractère, qu’elle prouve justement par là même qu’elle n’en a pas. Il s’est présenté, en particulier, une circonstance où elle a montré qu’elle faisait consister l’énergie en si peu de chose que c’est la réduire à un
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