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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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caprice de femme. Dans la voiture, vous savez, les glaces et les stores demeuraient toujours ouverts ; nous étouffions mais nous ne pouvions faire autrement : on voulait voir le Roi. Néanmoins, voilà que la Reine prend le rideau et le baisse. Le peuple murmure. Madame Élisabeth va pour relever le store ; la Reine s’y oppose en disant : Non, il faut du caractère. Un peu plus tard, elle saisit l’instant mathématique où le peuple ne murmurait plus pour lever elle-même ce rideau. Afin de montrer qu’elle ne le relevait point par obligation, elle feignit de le faire uniquement pour lancer par la portière l’os d’une cuisse de pigeon dont elle avait déjeuné, et elle répéta : Il faut avoir du caractère jusqu’au bout. Mon ami, la Reine, selon moi, n’a que de l’orgueil, une mauvaise fierté, mais nulle fermeté véritable. Elle se jettera toujours dans les partis que lui inspireront sa sensibilité, ses préjugés, non la raison. Je l’ai endoctrinée, lui parlant avec chaleur, avec une abondance d’âme, dans l’espoir que ces germes de vérité fructifieraient peut-être en elle. J’en doute. »
    Cet avis corroborait trop bien la propre expérience de Claude, sa longue déception après tant d’amour et d’espérance, à Versailles. Marie-Antoinette, il le savait parfaitement, n’accepterait jamais la Révolution. Il n’y a pas de miracle.
    Pourtant, il fallait choisir. C’était ou bien la restauration monarchique boiteuse, ou bien la république de fait, sans chefs responsables : un gouvernement anonyme sous lequel les plus beaux fruits de la Révolution ne tarderaient pas à s’anéantir. Aucun des augures ne voulait se prononcer sur ce choix. Les Jacobins ne parlaient pas de république. Robespierre, au club et à l’Assemhlée, demandait simplement que l’on fît le procès du Roi. À une réunion chez Pétion, où l’on agitait ce double problème, le maître de céans, délaissant les propos, se mit à jouer de son violon. Comme Brissot se fâchait, comme M me  Roland s’écriait que c’était honteux d’avoir l’occasion de la liberté complète et de ne pas agir, Pétion répondit enfin :
    « Cette occasion ne me semble pas effective. Si nous agissions trop tôt, cela pourrait, madame, entraîner la perte de toute liberté. Et toi, Brissot, te sens-tu si sûr ? Je n’ai pas lu dans Le Patriote que tu réclames la république ni même la déchéance du Roi.
    — Il est vrai, je ne parle pas encore ; je me prépare.
    — Comment ? demanda Claude.
    — En sollicitant des adresses républicaines au club et à l’Assemblée.
    — Vous avez démenti ce fait, quand Lameth vous en accusait.
    — Sans doute. Ne doit-on pas dissimuler sa démarche aux yeux de l’ennemi ?
    — Mon cher Brissot, je ne peux pas considérer les Lameth, ni Barnave ni Duport, comme nos ennemis. Je les connais depuis deux ans, je les ai vus à l’œuvre dès le premier jour. Ils ont accablé de leurs coups la monarchie absolue, ils ont fait sortir des États la Révolution, quand Robespierre était encore loin derrière Sieyès. Ils ont préparé la chute de la Bastille, ensuite la translation de la famille royale à Paris. La nation leur doit plus qu’à Mirabeau. Le procédé auquel ils recourent à présent pour justifier le Roi ne me plaît point, certes, mais une tentative de restauration monarchique me paraît à tous égards moins dangereuse, en ce moment, que l’expérience d’une république dont nous ne savons même pas ce qu’elle pourrait être. Je lui vois uniquement les plus fortes dispositions à nous mener très vite en pleine anarchie. Pétion a raison : les temps ne sont pas venus. Nous avons des hommes trop capables de jouer les Césars, et pas ceux qu’il faudrait pour le rôle de Cincinnatus. Peut-être les élections prochaines nous en donneront-elles. Il faut les attendre. Soyez sans crainte, le Roi leur fournira mainte occasion de le déposer. »
    En sortant, dans la rue du Faubourg, Lise dit à son mari qu’en tout cas il avait bien parlé. Elle admirait sa clarté d’esprit, sa sagesse. Au vrai, il était surpris d’avoir soudain exprimé nettement une opinion qu’il ne savait pas si bien formée en lui. Même encore, il ne se sentait guère assuré de son choix. Mais tout le monde flottait, les convictions se transformaient d’un jour à l’autre. Faute de consuls possibles, Dubon « remisait », disait-il, ses espoirs républicains. Seuls

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