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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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l’eau. »
    Pour deux sols, on pouvait louer à l’auberge un des bachelets à fond plat, aux deux bouts pointus et relevés, dont une flottille sillonnait, tous les beaux dimanches, la rivière abandonnée par les flotteurs.
    « Quelle mouche t’a piqué ? dit Babet tandis qu’ils remontaient le courant. Je voudrais bien savoir pourquoi tu me fais la mine. »
    Bernard, ayant mis habit bas, maniait vigoureusement la rame, en donnant chaque fois un léger tour de poignet pour maintenir le bateau en ligne.
    « Je croyais que nous venions ici pour nous réconcilier.
    — Je t’ai vue, hier soir, dit-il avec brusquerie parce qu’il se jugeait stupide. Hier soir entre chien et loup, place Fontaine-des-Barres. Ça ne m’a pas convenu. »
    Elle baissa les yeux et sourit mystérieusement, puis, relevant ses cils sombres, elle se composa un visage, car Bernard allait maintenant la regarder.
    « Ça ne t’a pas convenu ! Pourquoi ? Tu n’es pas jaloux de moi, m’as-tu dit.
    — Non. Assurément, non. Mais avec un vieux galantin de la sorte, c’est… Enfin ce n’est pas comme avec des garçons qui peuvent te plaire. Ce n’est pas naturel.
    — Oh ! non, répliqua-t-elle d’un ton ironique, il ne serait certainement pas naturel d’aimer les vieux ! Aussi ne les aimé-je nullement, sois-en sûr. Mes vices ne vont point jusque-là. Seulement, crois-tu qu’il ne soit pas naturel pour une fille de vouloir être parée, d’aimer les robes, le linge fin, les rubans, les colifichets, et de se les procurer par les moyens dont elle dispose ? Est-ce avec les gains de mon état – dont ma mère, d’ailleurs, me prend les trois quarts – que j’achèterais de quoi me rendre agréable aux garçons qui me plaisent ! Avec quoi t’imagines-tu que j’aie payé ces souliers, ces bas de soie ? Et cela, tiens ! ajouta-t-elle en troussant d’un geste prompt robe et cotte pour exhiber ses jarretières de ruban rose bouillonné, fermant par des boucles à semis de grenats, du plus charmant effet. – Des jarretières de duchesse, mon miston. Et si tu voyais ma chemise ! Tu n’en as pas comme celle-là dans ta boutique. Un souffle, tant elle est fine. Mais tu ne la verras jamais. »
    Elle rabattit ses jupes avec un mouvement si vif qu’il envoya jusqu’à Bernard une bouffée de parfum.
    « Je vais te dire une chose : je ne suis pas faite pour la crasse, moi, ni pour la misère. Rien ne me coûte qui me permet d’en sortir. J’aime ma tournure, ma peau. Je les veux soignées, je veux qu’on les aime. Si je pouvais, je prendrais des bains de lait comme cette reine ou je ne sais quoi des anciens temps, que j’ai vue en peinture chez… chez une pratique. Pourquoi les beaux atours ne seraient-ils pas pour une jolie fille plutôt que pour une madame de *** aux jambes de fauteuil ? Si j’étais née boulevard de la Pyramide, je n’aurais pas à m’occuper des vieux. Eh bien, un jour j’y habiterai, je te le jure. Qu’as-tu à répondre ?
    — Pas grand-chose, soupira-t-il. Tu as raison, il n’y a rien de commun entre toi et moi.
    — Tu es jaloux quand même.
    — Non. Je ne savais pas. Maintenant, j’ai compris. Je ne pourrais pas, avec les pièces que l’on me donne, t’offrir des jarretières de duchesse, ni seulement une fanchon comme celle-ci. »
    Faite de la batiste la plus légère et de tulle, elle était comme un nuage sur les cheveux : un chiffon de nuages piqué d’une petite fleur en satin.
    « Ah ! tu pourrais m’offrir bien mieux ! » dit Babet en regardant, avec ce qui semblait être la plus tendre langueur, le visage mat aux contours nets, la bouche ferme, les yeux noirs de son compagnon. « Descendons sur l’île, veux-tu ? »
    Il y en avait trois. Elles se succédaient au milieu de la rivière, divisant le courant. Deux petites, herbues, précédées d’une autre un peu plus grande avec quelques peupliers dont le vent emportait légèrement les feuilles. Le jeune homme donna la main à Babet pour sortir du bateau. Elle la garda et, en riant, tira Bernard à sa suite. Ils escaladèrent la berge, s’assirent sur l’herbe clairsemée, non loin d’autres couples. L’île était un lieu élu des amoureux.
    De nouveau, Bernard respirait l’odeur capiteuse. Il avait sous les yeux la gorge où le blond, ailleurs uniforme, de la peau se délayait, eût-on dit, dans un ton de lait, et cette ombre pâle qui séparait les globes découverts jusqu’à la limite des

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