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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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aréoles. Le buste, en s’inclinant parfois, laissait entrevoir leur rose parmi les fronces du liséré de dentelle bordant le décolleté. La mode de « faire belle gorge », passée depuis longtemps à Versailles et à Paris, commençait à décliner en Limousin aussi. Babet ne mettait nul empressement à suivre, sur ce point, le goût du jour.
    Abandonnée contre Bernard, elle ne paraissait plus se souvenir de ce qu’elle lui avait dit l’autre soir, dans l’impasse, ou enjoint sur la place Tourny. Elle était toute langueur. Il devinait bien que, là encore, elle jouait un jeu : celui de la provocation sans conséquences. Ici, sous des dizaines de regards, les privautés ne pouvaient aller loin. Quelle extraordinaire comédienne ! À la salle du spectacle, on n’en avait jamais vu la pareille. Elle mettait tant de vérité dans son regard, dans son sourire où la raillerie s’était effacée, une si tendre faiblesse dans ses façons de femme qui cède enfin à son cœur, que Bernard en arrivait à se demander si ce n’était pas maintenant qu’elle se montrait sincère. Parce que son propre entraînement demeurait sans risques.
    Elle fut ainsi tout le jour : pendant qu’ils retournaient au Tonneau, en dansant des gavottes dans la salle de l’auberge, en soupant sous les treilles avec Antoine Malinvaud et la compagne en jupe bleue qu’il s’était trouvée. Comme le soir s’obscurcissait, verdissant la rivière, noircissant les X des ramiers découpés sur le couchant rouge, Babet se leva soudain.
    « Adieu, dit-elle en s’enveloppant dans sa mante. Il me faut partir. »
    Et, comme Bernard se disposait à la suivre :
    « Non, demeure. Je ne veux point de compagnie. »
    Elle leur fit à tous les trois un salut de la main puis se glissa prestement entre les tables.
    « Eh oui ! elle est comme ça, dit Malinvaud. Ce n’est pas la fille qu’on mène en guides. »
    Bernard se rassit en haussant les épaules. L’ombre dominante de l’évêché, de la cathédrale et de l’Abbessaille s’allongeait sur le Naveix. L’air s’imprégnait d’humidité.
    « Il commence à faire frisquet, dit la fille en bleu. Moi aussi, je rentre. Mais je veux bien de ta compagnie », ajouta-t-elle, rieuse, à l’adresse d’Antoine.
    Resté seul à vider un fond de clairet, Bernard songeait qu’il n’avait décidément pas de chance avec les femmes, lorsque deux bras se glissèrent par-derrière autour de son cou. Les rondeurs d’une poitrine très féminine s’écrasèrent contre son dos tandis qu’une voix roucoulait à son oreille :
    « Alors, mon cœur, c’était bien pour moi que tu venais ! »
    Il prit par le poignet l’aimable blonde en robe à prétintailles, l’attira sur ses genoux.
    « Pourquoi pas, ma belle ? »
    Il gardait encore dans les yeux la vision de deux jambes bleu ciel, jarretées de rose au milieu de blancheurs écumeuses. Manon ne lui offrirait rien d’un tel raffinement, mais ils avaient euensemble quelques moments agréables. De toute façon, il fallait qu’il finît la soirée avec une fille.
    « Tu as toujours ta petite chambre, près des Jacobins ?
    — Parguienne !
    — Eh bien, allons ! »
    La tendre Manon n’était point fille à supplanter une Babet. Elle ne fit que la rendre plus nécessaire à Bernard. Dès le lendemain, il la chercha sans en avoir l’air, du reste sans l’apercevoir, car il ne pouvait passer son temps à la guetter. Il la revit seulement le mardi, à la nuit close. On allait se mettre à table. Jean-Baptiste montait, lui laissant le soin de fermer boutique, quand Babet entra pour acheter du fil. En lui rendant la monnaie d’un petit écu, Bernard ne put s’empêcher de lui dire :
    « C’est l’argent que tu as gagné l’avant-dernière nuit ? »
    Elle haussa les épaules.
    « Bon. Toi, tu l’as bien passée avec Manon Poinsaud !
    — Ah bah ! Comment le sais-tu ?
    — Elle s’en vante.
    — Tu l’as voulu. »
    Dès lors, le manège recommença. Avec une nuance : c’était à présent Bernard le chasseur. Babet mettait, à se laisser poursuivre, autant de secrète complicité et beaucoup plus de mauvaise grâce qu’il n’en avait montré, lui.
    Rien de tout cela n’échappait à Léonarde, mais il n’y avait pas à intervenir, pour l’instant. Un moment arriverait, sans doute, où l’on pourrait présenter adroitement à Bernard certaine jeune fille capable de lui plaire, de devenir la femme qu’il

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