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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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lui fallait. Léonarde avait depuis longtemps son idée là-dessus. En attendant, elle veillait avec discrétion. Elle sut que les deux jeunes gens se retrouvaient de plus en plus souvent, le soir, dans la remise, et se douta de ce qui s’y passait.
    En quoi elle se trompait un peu. Chassés de l’impasse par la froidure, ils avaient adopté la remise. Le lieu ne changeait rien à la situation : Babet restait aussi capricieuse dans ses rendez-vous – un jour elle y venait ; un autre, non –, glissante comme une couleuvre dont ses yeux prenaient parfois les froides nuances, railleuse, violente, pour s’alanguir au moment où elle était presque partie. Il lui arrivait alors, sur le seuil, la porte furtivement entrebâillée, de se laisser enlacer, d’accepter un baiser, de le rendre en même temps qu’elle se coulait hors des bras de Bernard, fuyant dans l’obscurité où il ne pouvait sans vacarme la poursuivre. Il n’essayait point, du reste, pas plus que de lui forcer la main. Parfumé, enflammé mais patient, il rentrait en goûtant encore la saveur, la vivacité experte de ce baiser.
    Dans les derniers jours de novembre, un soir qu’il n’attendait pas Babet il lisait dans sa chambre, quand il l’entendit lancer de petits cailloux contre la fenêtre, comme cela lui arrivait parfois. Le chandelier à la main, il descendit ouvrir.
    « Je te dérange ?
    — Au contraire », dit-il.
    Ôtant sa mante, elle s’assit sur des balles de lainages. Elle regardait Bernard en silence. Il lui trouvait un air singulier. « Qu’as-tu donc ? »
    Elle ne répondit pas tout de suite. Incertaine, semblait-il, des mots qu’elle allait prononcer, elle paraissait le sonder gravement des yeux.
    « Enfin, qu’as-tu donc ?
    — Quelque chose à te dire, peut-être.
    — Va, je t’écoute.
    — Je suis allée à Thias, ce matin. »
    Il se raidit.
    « Tu devines pourquoi ? demanda-t-elle. Veux-tu que je t’en parle ? Ou bien…»
    Bernard se rapprocha d’elle, la bouche dure.
    « Petit serpent ! Qu’est-ce que tu cherches ? Tu espères me faire mal ? Tu te trompes. Je ne suis plus…
    — Non, non, je t’assure, mon cœur, c’est toi qui te trompes. Je t’aime bien, Bernard. Je me suis mal conduite avec toi. Tu m’avais négligée pour une autre, je voulais prendre ma revanche, te pousser à bout puis te rire au nez. Ce n’était pas méchant. Je savais qu’ensuite je te ferais oublier en un instant mes taquineries. »
    Elle lui prit la main, en desserra les doigts et la tint doucement entre les siennes.
    « Pardonne-moi, mon cher ami, je ne me rendais pas compte. J’ai compris, ce matin, près d’elle. C’est tellement naturel qu’une fille comme moi n’ait plus compté à tes yeux quand tu as connu une fille comme celle-là. Dieu sait pourtant si. j’étais peu tendre en allant là-bas ! M me  Naurissane, guère de bon poil, elle non plus, m’a fait conduire dans sa voiture, au petit jour. Elle m’avait avisée hier d’aller apprêter sa sœur qui se mariait aujourd’hui à l’église d’Isle. En roulant, je méditais de la rendre affreuse, cette pécore. J’arrive et je trouve une personne que, un moment plus tard, j’aurais embrassée.
    — Comment était-elle ? demanda Bernard après un instant.
    — Très jolie. Une grande robe.
    — Non, pas ça. Avait-elle l’air contente ?
    — Nerveuse. Une mariée, tu comprends, c’est…
    — Tais-toi ! dit-il en la prenant contre lui avec violence. Tu m’as aidé à me détacher d’elle, tu m’as guéri de mon mal, Babet. Ne le réveille pas !
    — Je t’ai guéri ! Oh ! mon cœur, je suis heureuse ! »
    Cette fois, elle ne se dérobait point, au contraire. Elle ne retirait pas sa bouche. Elle le serrait entre ses bras. Il baignait dans son parfum, dans sa tiédeur, dans l’oubli. Elle se renversa sur les balles moelleuses, l’entraînant avec elle. Ils ne parlaient plus. Dans la pénombre où vacillait la flamme de la chandelle il n’y eut plus que des soupirs, des froissements d’étoffes, quelques mots balbutiés : « Mon cœur, mon cher cœur, mon ami ! » enfin une plainte basse et douce.

III
    Le jeune ménage Mounier était installé au premier étage d’une des maisons neuves, blanches à encadrements de briques, qui commençaient à entourer l’ancienne place Montmailler, baptisée depuis sept ans place Dauphine pour commémorer la naissance du Dauphin : premier fils de Louis XVI et de

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