L'Amour Et Le Temps
de brusquer les débats. La gauche extrême était résolue à ne se point laisser faire. On se rendit à la salle. Les banquettes vertes se garnirent, les tribunes étaient déjà pleines. Les huissiers annoncèrent le président. Charles de Lameth entra, monta au fauteuil, se découvrit, agita la grosse sonnette posée sur la table à tapis vert, et la séance commença.
Ce fut surtout un duel de logique, d’éloquence, entre Robespierre et Duport qui, défendant le principe constitutionnel et l’inviolabilité du Roi, réussit à se faire écouter même des tribunes populaires, dans un sombre silence. Robespierre, lui, s’en prit à cette inviolabilité, sans démontrer d’une façon convaincante qu’elle ne jouât point dans ce cas. En revanche, Claude lui trouva une grande force lorsque, dans son débit d’une douceur toujours un peu féline, il termina par ces mots : « Les mesures proposées dans le rapport qu’on vous a présenté hier (il s’agissait du rapport des sept comités, tendant à prononcer un non-lieu sur le départ du Roi et à poursuivre les auteurs de son « enlèvement »), ne peuvent que vous déshonorer. Si j’étais réduit à voir ces mesures triompher, je voudrais me déclarer l’avocat des gardes du corps, de M me °Tourzel, de Bouillé lui-même. Si le Roi n’est pas coupable, s’il n’y a pas de délit, il n’y a pas de complices. Si sauver un coupable puissant est une faiblesse, lui sacrifier un coupable plus humble est une lâcheté. Il faut ou prononcer sur tous les coupables, ou les absoudre tous. Je propose que le sort du Roi soit décidé par une Convention nationale élue à cet effet. »
Cette fois, la position était prise, et avec quelle clarté ! En apportant, comme il le disait, les paroles de l’humanité, Robespierre montrait la solution la plus raisonnable, la plus démocratique, la plus conforme à la justice. Quand il regagna sa place entre Pétion et Claude, celui-ci lui dit avec élan :
« Mon ami, je vous exprime mon admiration bien sincère. Vous avez tout résolu, vous écartez le risque de guerre sociale, et vous laissez à notre œuvre toutes ses chances.
— Merci, répondit Maximilien en souriant. Hélas ! acheva-t-il, l’Assemblée ne me suivra pas.
— En tout cas, comptez sur nous », dit Pétion.
Prieur, de la Marne, était à la tribune. Il attaquait à son tour le rapport dont il démontra l’absurdité. Desmeuniers, délégué par les fayettistes, succédant à Prieur, usa d’un tour habile. « Le corps législatif, dit-il en substance, d’un ton très jacobin, le corps législatif a eu bien raison de suspendre le Roi. Il faut le maintenir suspendu jusqu’au moment où la Constitution sera parachevée. Si alors il ne l’acceptait pas, l’Assemblée prononcerait sa déchéance. » Il lut là-dessus un projet de décret en deux points.
D’un mot, Robespierre, décidément dans un de ses grands jours, effondra le piège où l’on avait cru attraper l’extrême gauche par surprise. « Un tel décret déciderait d’avance que le Roi ne sera pas jugé », observa-t-il sèchement. Et c’en fut fini. On ne vota point. On discuta au sujet d’une adresse envoyée par une société fraternelle d’hommes et de femmes, filiale en quelque sorte des Cordeliers. Elle siégeait aux Minimes, au fond du Marais. La veille au soir, elle avait rédigé cette adresse hardie et menaçante, signée : Le Peuple. Ce « peuple » était en réalité un certain Tallien, jeune clerc de basoche, famélique, aux cheveux plats, au vaste nez sensuel, que Claude voyait parfois autour de Danton. On savait tout cela. Fidèle au sentiment de sa dignité, l’Assemblée ne voulait pas entendre en lecture publique cette diatribe. Barnave insista cependant pour qu’elle fût lue le lendemain, comme exemple d’un état d’esprit contre lequel il fallait s’armer. « Ne nous laissons pas influencer par une opinion factice, ajouta-t-il. La loi n’a qu’à placer son signal, on verra s’y ranger les bons citoyens. »
Ces paroles, c’était évidemment la réponse aux menaces du maître boucher, la veille, aux Jacobins.
« Eh bien, observa Pétion entre haut et bas, dans la voix de Legendre il y avait comme un bruit de piques, voilà qu’on nous fait entendre aujourd’hui comme un écho de canon : celui de la garde soldée, naturellement.
— De toute part, il n’y a pour nous que des périls », dit Robespierre.
Dans la
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