L'Amour Et Le Temps
façon la plus nationale », s’il y avait lieu ou non de juger le Roi.
Pendant que l’on discutait ainsi dans le Manège interdit à la foule, celle-ci s’était portée au Champ-de-Mars. Elle y allait d’elle-même, on ne voyait nulle part les meneurs coutumiers. L’écrasant appareil militaire déployé par La Fayette les invitait à la prudence, comme l’avait pensé Lameth. Parmi beaucoup de simples familles qui se promenaient tranquillement au soleil, et de curieux venus du Gros-Caillou, des patriotes habitués de l’Assemblée se reconnurent et se réunirent sur les degrés de l’autel de la patrie. Là, ils rédigèrent une pétition. C’était devenu la fureur du jour, tout le monde en faisait. Se plaignant poliment de n’avoir pas pu « pénétrer dans la maison nationale », ils demandaient aux représentants de suspendre « toute détermination sur le sort de Louis XVI, jusqu’à ce que le vœu bien prononcé de la nation eût été émis ». Cela n’avait rien que de démocratique, nullement républicain. Toutefois, comme un officier de la garde nationale voulait plaider la cause du Roi : « Tais-toi, malheureux ! lui répondit-on. Tu blasphèmes. C’est ici le lieu sacré du peuple, le temple de la liberté. Ne le souille pas en prononçant le nom de roi. »
Dans la salle du Manège, Barnave venait de prendre à son tour la parole. Sur le ton le plus courtois, contrastant avec les précédentes interventions monarchistes, il fit d’abord la critique point par point de l’idée républicaine. Approuvé par La Fayette, il montra combien les conditions dans lesquelles s’était créée la république dans le Nouveau Monde différaient des circonstances dans lesquelles elle s’installerait présentement en France, et s’efforça d’expliquer pourquoi ce régime d’États réunis en confédération ne pouvait s’appliquer aux départements français. Entrant au vif de la question, il prouva que la Constitution, une fois parachevée, répondrait exactement au mandat que leur avaient donné les électeurs : elle établirait le plus parfait équilibre entre les institutions démocratiques et le principe monarchique auquel le pays, dans son ensemble, restait attaché. On ne pouvait, sans risque de tout détruire, modifier les fondements de cette grande construction. « Tout changement, déclara-t-il, est aujourd’hui fatal, tout prolongement de la Révolution serait désastreux. Vous avez fait ce qui était bon pour la liberté, pour l’égalité. Vous avez repris et rendu à l’État ce qui lui avait été enlevé, vous avez instauré l’état de choses auquel aspirait la nation. Si la Révolution fait un pas de plus, elle rompra périlleusement l’équilibre qui vous a coûté tant de soins. Régénérateurs de l’Empire, suivez invariablement votre ligne. Vous êtes puissants, soyez sages, soyez modérés, c’est là que sera le terme de votre gloire ! »
La Fayette se leva pour demander la clôture. On vota sur le rapport des sept comités. Il obtint une majorité imposante. En ce qui concernait Louis XVI lui-même, rien n’était prononcé à son égard. Le rapport l’innocentait pratiquement en concluant que des poursuites fussent engagées contre Bouillé, « coupable principal », et contre les serviteurs, officiers, courriers, etc., « complices de l’enlèvement ».
« Quelle inconséquence ! se récria Claude. Toutes les erreurs qu’il ne fallait pas commettre. »
Robespierre, les lèvres pincées : « Je vous l’avais bien dit. »
Un huissier, traversant la piste, se dirigeait vers lui pour l’avertir que des pétitionnaires le demandaient expressément, lui et Pétion.
C’étaient les patriotes du Champ-de-Mars. Ils avaient choisi parmi eux deux commissaires en les chargeant de remettre à l’Assemblée la pétition signée sur l’autel de la patrie. Une troupe les avait suivis, sans cesse grossissante. La garde du Manège porta courtoisement les armes à cette délégation de citoyens pacifiques, tout en leur refusant l’entrée. Ils se rendirent alors, à la tête de leur cortège, place Vendôme où l’on parlementa longuement avec Bailly. Les commissaires lui expliquant de la façon la plus calme que l’on voulait seulement voir Pétion et Robespierre, il permit enfin le passage pour six hommes. Un municipal les conduisit par le couloir de toile des Feuillants à un bureau où les deux députés demandés vinrent leur
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