L'Amour Et Le Temps
à tous deux, ni celle de votre frère, cher Lameth, ni celle de Duport et de ceux avec lesquels je travaille depuis si longtemps dans nos comités, mais je crois que vous vous trompez. Rien de viable ne peut être fait sans l’assentiment de la masse nationale. Je vous ai appuyés jusqu’ici dans votre tentative de restauration monarchique, à présent je m’aperçois d’une manière indubitable que la nation veut décider elle-même. Si vous lui refusez la liberté et la parole, si vous imposez Louis XVI, un jour ou l’autre le trône s’effondrera dans le sang. Je vous en conjure tous les deux : adoptez la motion de Robespierre, laissez le pays élire une convention pour qu’elle décide si le Roi est innocent ou coupable. C’est le conseil même de la sagesse. Je dois vous avertir que je m’y rangerai. Je ne peux plus vous suivre quand je vous vois préparer aveuglément la ruine de ce que nous avons accompli ensemble depuis deux ans.
— Mon cher Claude, dit Barnave qui l’avait écouté non sans émotion, je vous comprends. Vos paroles ne font qu’accroître mes sentiments pour vous. Je voudrais non pas adopter l’opinion de Robespierre, trop tortueux pour mon goût – et beaucoup trop opportuniste en l’occurrence, car il a singulièrement attendu pour l’arrêter, cette opinion –, mais adopter votre avis. Malheureusement, je crains que ce ne soit plus possible. Vous avez entendu les menaces de Legendre, vous avez lu l’adresse du famélique Tallien, comme cent autres factums du même genre, les absurdités de Condorcet et de tous ces bourgeois en train de déchaîner un monstre qui les dévorerait, vous voyez les agitations de Danton et de Laclos. Ces gens-là ont fabriqué au peuple une opinion factice. Ils la lui imposent par des moyens beaucoup plus sournois et infiniment plus redoutables que la force de la garde citoyenne. Ils ne laissent plus à la population la liberté de décider par elle-même. C’est justement cette liberté que nous lui rendrons en contenant les factieux et en rétablissant le régime instauré par la Constitution. Je ne vous en dis pas plus. Je vais parler tout à l’heure, à la tribune ; écoutez-moi, vous prendrez alors le parti qui vous paraîtra le plus juste. »
Comme Barnave le raccompagnait, Claude lui dit à l’oreille : « Défiez-vous de Marie-Antoinette. Je sais combien elle émeut, mais elle vous perdra. »
Depuis la rentrée aux Tuileries, Barnave n’avait pas revu la Reine. Il conseillait secrètement le Roi, cela Claude le devinait. Il imaginait bien aussi que Marie-Antoinette, malgré tout ce que le jeune député avait pu gagner sur elle pendant le retour de Varennes, devait, dans son humiliation et sa haine, méditer tout autre chose qu’une entente avec l’Assemblée. Le moyen de vaincre, elle ne pouvait le trouver que dans les cours étrangères. Comment Barnave ne s’en rendait-il pas compte !
La séance débuta par la lecture non point du factum de Tallien, refusée encore une fois, mais par celle d’une pétition rédigée la veille, dans laquelle « cent citoyens de Paris demandaient que l’on attendît le vœu des communes de France pour décider sur Louis XVI ». Elle avait pour signataires les chefs des Sociétés fraternelles des deux sexes, auxquels s’étaient jointes « quarante-cinq sœurs romaines ».
Suivit une violente attaque d’un monarchiste peu connu : un certain Goupil de Préfelne, contre les républicains. « Ils veulent, dit-il, précipiter la nation française dans le gouffre des horreurs et de l’anarchie. » Il injuria Brissot, stigmatisa Condorcet qui venait de publier, sous le titre de « Lettre d’un jeune mécanicien », un pamphlet tournant la monarchie en ridicule. Il rangea « parmi les Érostrates modernes cet homme investi d’une réputation obtenue je ne sais comment, et décoré du titre d’académicien ». Enfin, après avoir jeté l’anathème « à d’odieuses et criminelles adresses », il chanta les louanges de « notre divine Constitution ». Montaudon, avec assez d’habileté, mit l’Assemblée en garde « contre tout ce qui pourrait rompre l’unité nationale, détruire l’admirable unanimité fédérative, empêcher l’unification définitive de la France, et compromettre les nobles conquêtes humaines de la Révolution ». Il estimait le corps législatif « émanation des assemblées primaires », parfaitement apte à décider, « de la
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