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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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tout prendre, la chute de la Bastille était bien une victoire pour les hommes libres, puisqu’elle consacrait le premier échec des orléanistes. En ce moment leur parti fournissait son suprême effort, ils n’en finiraient pas moins par être anéantis comme l’avaient été les murailles illusoires de la forteresse, et, à l’Hôtel de ville, la réalité de l’absolutisme royal.
    En revenant du parvis Notre-Dame avec les Dubon, Claude et sa femme s’arrêtèrent au Pont-Neuf pour souper en famille. Ensuite, les deux hommes, raccompagnant Lise qui se sentait fatiguée et ne voulait pas aller aux Jacobins, continuèrent leur route vers le club. Sous un ciel de nouveau serein où commençait à briller la première étoile, la ville était déjà tout illuminée. On dansait sur les places, on promenait des lanternes vénitiennes, des torches multicolores ; des farandoles serpentaient à travers les rues. Depuis le triomphe de Voltaire, Paris vivait une fête ininterrompue dans laquelle une fièvre sourde se mêlait à l’exaltation du plaisir. Demain encore, ce serait l’anniversaire de la Fédération, et après – c’était là que s’aiguisait l’attente – il faudrait bien régler la grande question.

IX
    Lorsque Claude et Dubon arrivèrent aux Jacobins, ils trouvèrent la cour pleine de peuple. Les feux tricolores des lampions qui garnissaient l’arbre de la Liberté, et la lumière sortant par la porte de l’église luttaient avec la dernière lueur du crépuscule sur les visages animés. La salle était comble. Claude eut la surprise d’y voir, près de Gorsas, Montaudon qui venait rarement. Robespierre occupait la tribune. Il se défendait, une fois de plus, de nourrir aucune intention républicaine. Au demeurant, poursuivit-il, république et monarchie sont des mots vides de sens ; on peut vivre libre sous un monarque comme avec un sénat.
    « Il devrait se prononcer davantage, observa Dubon. C’est le moment de prendre fortement parti, s’il ne le fait pas, Danton va charger.
    — Croyez-vous ? Il ne voudra point rompre le pacte établi », répondit Claude.
    Il s’aperçut bientôt que, durant ces derniers jours où il avait un peu négligé le club au profit de Lise, un subtil changement s’était produit. En effet, si Danton, loin de charger, se montra aussi soucieux que Robespierre de ménager les opinions de la droite jacobine, il n’en demanda pas moins comment l’Assemblée nationale pourrait remettre Louis XVI sur le trône en sachant ce rétablissement contraire à la volonté de la nation.
    « Point du tout, rectifia Montaudon, de sa place. Contraire peut-être à une certaine partie de l’opinion parisienne, mais soixante-neuf départements se sont prononcés de la façon la plus catégorique pour le maintien du Roi.
    — Il n’y a pas eu consultation réelle, répondit Danton.
    — Comment ça ? Pas réelle ! lança une voix, du dernier étage des gradins. Cette opinion provient de nos propres sociétés provinciales, or il est constant qu’elles sont formées par les électeurs des assemblées primaires, donc leur avis est celui des communes elles-mêmes. »
    Danton n’insista pas. Claude était frappé de ce qu’une telle intervention suscitât simplement ces mises au point. Trois jours plus tôt, rompant les ententes tacites, elle eût soulevé un tollé. Il fallut la virulence de Legendre pour provoquer une protestation. Il avait succédé à Danton dans la haute chaire des orateurs. Il ne ménageait rien, lui ; il attaquait violemment le Roi, il menaça les auteurs du rapport présenté à l’Assemblée nationale. « S’ils voyaient la masse, les comités reviendraient à la raison », dit-il, et il ne craignit pas d’ajouter : « Ils conviendraient que, si je parle, c’est pour leur salut. »
    Ni La Fayette, ni Barnave, ni aucun membre du triumvirat n’était là, ce soir, mais les « constituants » ne manquaient point. Sans un mot, avec une dignité glaciale, ils quittèrent la salle, Montaudon parmi eux. Claude les aurait sans doute suivis, si son beau-frère, lui posant la main sur le genou, n’avait murmuré : « Non. Vous n’êtes pas avec eux. Legendre, quoique un peu vivement, dit vrai. Réfléchissez-y. »
    À l’entrée, les protestataires croisaient des députations – hommes en pantalon, ouvriers avec leur carmagnole, citoyennes à bonnet plat – qui venaient apporter les adresses de sociétés populaires : la

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