L'Amour Et Le Temps
« Fraternelle des Halles », la « Société des deux sexes », siégeant en ce moment dans la crypte. Les unes et les autres demandaient, sous des formes plus ou moins différentes, l’appel au peuple pour le jugement du Roi.
« Eh bien, dit Claude en sortant. Je croyais l’idée républicaine remisée, elle s’est, au contraire, singulièrement fortifiée en peu de jours.
— Parce que tout le monde se rend compte qu’une partie de l’Assemblée cherche à maintenir le Roi pour exercer le pouvoir sous son égide. Nous ne voulons pas de ce régime oligarchique : voilà tout.
— Mon cher Jean, je crois Barnave très loin de vouloir cette dictature déguisée. Je suis certain que dans l’alliance de la monarchie et de la nation, il voit le bien général. »
Ils furent interrompus par Legendre, survenant avec Danton et le jeune typographe Brune. Le maître boucher s’excusa de son attaque.
« Je n’en retire rien, dit-il, sauf en ce qui vous concerne, Pétion et vous. Vous avez bien compris que je ne vous visais pas en parlant des comités. Les Cordeliers vous estiment et vous aiment, Mounier. Vous suivez encore, par entraînement, des hommes indignes de votre pureté. La vérité est néanmoins dans votre cœur, elle y mûrira.
— Bah ! fit Brune, Mounier-Dupré est un républicain qui s’ignore, comme Robespierre. Voilà tout. Mais, ajouta-t-il d’un ton plaisant, qu’il parle bien, ce Legendre ! Je comprends que Camille l’admire.
— Oh ! pour parler, ça va, dit Legendre avec simplicité. C’est quand il s’agit d’écrire !…»
Claude dormit fort mal, cette nuit-là. Sa conscience le tracassait : il se demandait si, effectivement, il ne prêtait pas les mains à un acte arbitraire. Les clubs de soixante-neuf départements avaient tout bonnement répondu dans le sens que la Société mère leur suggérait par les termes de sa circulaire rédigée, le 21 juin, sous l’influence des « constituants » fayettistes et des triumvirs. Ces réponses ne signifiaient pas grand-chose : si la circulaire eût été différente, elles auraient pu être tout autres. Seul le référendum réclamé par le cercle Roland, le cercle Condorcet, Brissot, Desmoulins, Bonneville et d’autres journalistes eût permis de consulter vraiment le peuple. Lui, Claude, n’avait-il pas péché gravement contre son idéal en repoussant ce moyen, par crainte de diviser la nation, de l’affaiblir en une circonstance périlleuse ?
Ne trouvant pas le sommeil, il s’efforçait pourtant de ne pas remuer pour n’éveiller point sa femme. Malgré lui, il se retournait par moments. Il avait trop chaud. Les heures sonnaient aux Quinze-Vingts, des gens passaient encore, bruyamment, dans la rue. Soudain Lise :
« Tu ne dors pas. Qu’y a-t-il ? Tu es malade ?
— Non, ce sont ces affaires qui me trottent par la cervelle. »
En se couchant, il lui avait raconté brièvement la séance du club et rapporté les propos de Dubon et de Legendre. À voix basse, dans la nuit, il lui dit quelles pensées le préoccupaient. « Ne te tourmente pas, mon bon ami, répondit-elle. Tu as agi selon ta conscience. Il faut attendre que la volonté publique se dessine nettement, elle t’indiquera ton devoir. Tâche de dormir, tu vas avoir une rude journée. » Elle l’attira contre elle en creusant l’épaule afin qu’il y nichât sa tête. Bientôt, apaisé, il s’endormit.
Au matin, il partit de bonne heure pour le Manège. L’anniversaire de la Fédération ne pouvait faire reporter à l’Assemblée ses travaux. Elle avait simplement désigné quelques membres pour figurer avec les corps constitués dans le cortège qui défilerait de la Bastille au Champ-de-Mars, comme l’année précédente. Cette fois, un soleil magnifique et chaud favorisait la fête, moins importante : il n’y avait pas de délégations provinciales. Bien entendu, la famille royale, gardée dans les Tuileries, ne paraîtrait pas. Lise avait dit cependant qu’elle irait à la cérémonie.
Claude trouva autour de l’Assemblée beaucoup de peuple. On se portait plutôt là que sur le passage du cortège, semblait-il, et ce peuple était manifestement ombrageux. Il attendait avec fièvre l’ouverture des barrières, sans ménager ses propos peu constitutionnels. Claude parcourut les bureaux, causant avec ses collègues pour tâter la situation : on pensait que les modérés, avec l’appui de la droite, allaient s’efforcer
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