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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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enfin la volonté d’obscurantisme qui opposait un despotique ne ultra au désir naturel d’aller jusqu’au bout de la science. Oui, à Clermont j’ai appris bien des choses, et parmi elles, hélas ! le dégoût, l’horreur, la haine. À quoi bon insister ? Vous avez lu La Religieuse ? Au sexe près, son histoire est la mienne. » Résolu à conquérir la liberté, il avait vaincu toutes les obstructions pour intenter à ses supérieurs un procès en réclamation de vœux, tirant argument de son extrême jeunesse au moment où il avait prononcé les siens. Après trois années de chicane, il obtint une première satisfaction : un arrêt de parlement lui assignait résidence à Paris, aux Carmes. Il échappait enfin au cloître. Il venait d’avoir vingt-six ans.
    À Paris, disait-il, il avait eu le bonheur de lier amitié avec un de ses frères : Jean-Baptiste, contrôleur des exploits, fervent de lettres, de philosophie. Avec lui, il fréquentait le salon de M me  Geoffrin, vieillissante mais qui continuait de recevoir tous les mercredis philosophes et savants. Il fit là d’illustres connaissances, nouant plus particulièrement des relations avec d’Alembert. La police, qui gardait l’œil sur lui, jugeait suspectes ces fréquentations, pour un congréganiste à demi défroqué. On perquisitionna dans sa chambre. Comme elle contenait des ouvrages politiques, des écrits antireligieux, il fut envoyé à la Bastille où il resta un an et demi.
    C’est surtout à partir de cette date – le printemps de 1773 – que les mailles de ses récits devenaient fort lâches. Il était, racontait-il, devenu nouvelliste en France et à l’étranger, principal collaborateur d’une publication appelée Correspondance secrète politique et littéraire. Il était allé à Londres. Il avait connu de nouveau l’internement à la Bastille, mais pour deux mois seulement, en 81. L’année suivante encore, la police française le faisait arrêter à Bruxelles, avec son frère, et on les embastillait tous les deux cette fois. Relâché au mois de mars, il était sorti du royaume pour s’établir en Prusse, à Neuwied, « une charmante petite ville au bord du Rhin », où il passait son temps à écrire, voyageant aussi un peu, disait-il vaguement. Enfin, 88 lui avait permis de rentrer en France.
    Bernard n’était ni si jeune ni si ignorant qu’il ne sût qu’à l’époque dont parlait Dulimbert Bruxelles grouillait d’avan-turiers, d’espions, d’agents secrets. C’était, pendant la guerre d’Indépendance américaine, le temps où la France, soutenant les insurgés et alliée à l’Espagne, préparait avec elle un débarquement sur les côtes anglaises, où les hostilités s’engageaient entre l’Angleterre et la Hollande. Guillaume Dulimbert se bornait-il là au rôle de nouvelliste ? Ses allées et venues entre Paris, Bruxelles, Londres, son installation plus tard en Prusse rhénane ne manquaient pas d’équivoque. De plus, depuis 89, les bizarres coïncidences relevées à son propos par Claude, l’attitude du général La Fayette, les recommandations mêmes de Nicaut, laissaient rêveur. Tout cela, comme les singularités physiques du personnage, retenait Bernard de se livrer sans restriction aux avances de son nouveau « frère et ami », le faisait résister à une attirance qui, par certains points, ressemblait un peu à de la fascination. L’expérience de cet homme, sa science, ses récits, étaient captivants, et aussi, pour une âme mélancolique, cette mélancolie sans amertume dans laquelle il semblait baigner. « La tristesse, disait-il, on finit par l’apprivoiser ; elle devient une sagesse. La seule chose insupportable, c’est l’injustice. » On comprenait bien que pour lui la pire fût celle d’un régime fondé sur le double despotisme du trône et de l’autel. La religion l’avait empoisonné en lui apprenant la haine. Il en restait imbu, comme il restait marqué dans ses façons par les habitudes patelines du cloître. Bernard, sans partager cette haine, la trouvait justifiée. La religion, il la dédaignait autrefois comme un tissu de sottises à l’usage des femmes. On lui avait montré que c’était un instrument d’oppression associé à l’absolutisme pour maintenir le peuple dans les fers. Il avait alors compris pourquoi les gros bourgeois, les privilégiés, tout en se gaussant des dogmes en vrais libertins, et sans pratiquer le moins du monde la

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