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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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murmurer à l’oreille qu’il manquerait à son premier devoir en s’obstinant, qu’une interdiction si formelle le justifierait de rester ici. Mais, le lendemain, comme il était à la boutique où Léonarde métrait du galon, Jean-Baptiste l’appela au magasin, puis, le doigt sur la bouche, l’entraîna dans la remise. « Ton père, chuchota-t-il, a dit à ta sœur que tu pensais t’engager comme garde aux frontières. Ils veulent tous les deux faire le possible pour t’en empêcher. Je les comprends, je les comprends très bien. Moi non plus, je n’aimerais pas te voir partir, mais je te comprends aussi, je sais à quoi un garçon de cœur se sent obligé dans le moment où nous sommes. Si tu décides de suivre Jourdan, je te donnerai l’argent pour l’équiper. Seulement n’en souffle mot. Que ta sœur ne se doute de rien, surtout ! Elle ne me pardonnerait jamais. »
    Après cela, toute hésitation eût paru à Bernard une lâcheté. En quittant la boutique, il monta dans la ville haute, traversant le quartier incendié en septembre de l’année précédente. Quoique l’on s’efforçât de reconstruire, en bien des endroits on avait juste déblayé les décombres. À la place du Jeu de paume, évocateur des temps faciles, se dressaient des piles de parpaings noircis, de poutres à demi consumées. Bernard gagna la maison commune où il s’inscrivit au registre des enrôlements. Achevant de descendre la rue étroite et abrupte, il prit celle des Taules pour atteindre la vieille abbaye Saint-Martial dans les dépendances de laquelle Jourdan logeait au-dessus de sa mercerie. Bernard ne passait point là sans se souvenir du jour – un soir tout embrumé de flocons – où Lise, le visage rose dans sa capuche fourrée, lui avait dit qu’elle l’aimait encore, qu’elle n’aimait que lui. Ce souvenir lui serra plus que jamais le cœur.
    Jourdan berçait sa seconde fille, Catherine-Angélique : poupon de huit mois. La mère faisait manger Marie-Madeleine.
    « Eh bien, annonça Bernard après avoir salué amicalement M me  Jourdan, c’est résolu, j’irai avec toi.
    — Tiens ! s’exclama Jourdan, que t’avais-je dit, Jeanne ? Mon ami, tu me réjouis sans me surprendre. J’ai toujours su que tu viendrais : un homme comme toi ne pouvait agir autrement.
    — Il faut croire, puisque c’est fait. Je viens de signer le registre.
    — Tu dis ça comme si tu annonçais ton propre enterrement. Un peu d’enthousiasme, que diantre ! Nous en aurons besoin, pour faire de nos gardes villageoises une vraie troupe. Allons, soupe avec nous ! Je vais chercher une bouteille. »
    Il descendit à la cave. M me  Jourdan, restée seule avec Bernard, qui amusait distraitement la petite Marie-Madeleine, soupira. « Moi aussi, j’ai le cœur gros. Jourdan plastronne, mais la séparation nous sera dure, à tous deux. » Elle s’efforça de sourire. « Et vous, Bernard, pourquoi tant de peine ? Vous n’avez pas d’attachement ici. » Il la regarda. C’était une aimable femme, au caractère ferme et doux : belle-sœur de l’ancien patron de Jourdan. Elle avait deux ans de plus que son mari, trente et un, donc. Bernard, avec ses vingt-six ans, la trouvait toute maternelle. Il se laissa aller à une demi-confidence. « Non, dit-il, je n’ai ri épouse ni fiancée ni véritable maîtresse, seulement j’abandonne ici mes plus chers souvenirs et mes désirs les plus irréalisables. »
    Le soir même, au sortir du club, il écrivit à Lise une lettre désolée. Les circonstances, disait-il, lui faisaient une obligation de suivre les gardes nationaux volontaires pour défendre le territoire. Il expliquait longuement ses raisons, et ajoutait : « Voilà, c’était bien la peine de m’obstiner à rester ici, pour partir quand vous revenez. Par ma stupidité, j’ai perdu pour rien deux ans de votre présence. Comme vous aviez raison ! Que ne vous ai-je écoutés, Claude et vous ! Tout ce temps bêtement gâché, et qui m’a été si dur ! Ah ! j’enrage de mon imbécillité ! Mais ai-je jamais rien fait d’autre qu’accumuler les sottises à votre égard, ma pauvre amie ? Comment pouvez-vous aimer un homme si court d’esprit, si maladroit ! N’en êtes-vous pas dégoûtée ? Je ne mérite point votre affection. Pourtant, si je suis aujourd’hui contraint de m’en aller, ce n’est pas ma faute : nous vivons une époque exigeante et difficile »… « Le recrutement des

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