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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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déformants, il avait cependant éveillé l’intérêt de Bernard. Pour lui, l’homme aux lunettes : ce louche personnage entrevu à Paris dans l’ombre de La Fayette, était devenu presque un ami. La chose s’était faite avec une rapidité étrange. Ils quittaient la chapelle du collège où siégeait momentanément le club pendant que l’on procédait à des transformations dans le couvent des Jacobins. Bernard n’aurait pas pensé que ce bonhomme pût le reconnaître, à un an d’intervalle, après l’avoir vu si peu de temps, parmi tous les autres membres de la délégation, au Manège. Le singulier individu le salua pourtant en lui rappelant leur rencontre. Avec un bref regard marqué par un éclair des verres, il ajouta :
    « Le lieutenant n’était alors que sergent, mais les choses allaient mieux pour lui, s’il veut bien me permettre cette constatation.
    — En effet, répondit Bernard avec sa franchise habituelle, les choses allaient mieux, du moins ce jour-là. Comment diable le savez-vous, citoyen ?
    — Une âme sans détours, un visage transparent. Il faudrait être plus myope encore que je le suis pour ne point lire là comme dans un livre. Lorsqu’on voit parmi tant de corrompus un homme pur, on n’oublie pas ses traits. Lorsqu’on les retrouve avec le voile du chagrin sur cette pureté, cela frappe. Je ne voudrais pas que le lieutenant me jugeât indiscret. Quand on a l’expérience de la tristesse on la reconnaît aisément, voilà tout.
    — Pur, répliqua Bernard, personne ne l’est, surtout pas moi. N’importe, je suis sensible à vos bonnes paroles.
    — Je le prévoyais, c’est pourquoi je les ai dites, frère et ami, fit Dulimbert en changeant de ton et en insistant sur la formule jacobine. Nul autour de vous ne vous comprend. Votre solitude est amère, n’est-ce pas ? »
    Étonné par cette espèce de divination, Bernard resta un instant sans voix, puis, à la fois ému et prêt à s’irriter : « Ma solitude est amère, en effet, mais je voudrais bien apprendre de quelle façon…»
    L’autre l’interrompit en levant une de ses belles mains de prélat. « Que le lieutenant ne s’offense point. Celui qui lui parle a fait également l’expérience de l’incompréhension et de l’amertume. Peut-être voudrait-il, lui aussi, sortir de sa propre solitude. Quant à la façon dont il sait ce qui ne le concernerait sans doute pas, eh bien, il est né ici, il y a grandi, il y est revenu parfois. Il ne peut ignorer la famille Delmay, la famille Montégut, ni que l’on n’y est guère fait pour comprendre un garçon de vingt-six ans, patriote, zélateur de la liberté, soldat de la Révolution. »
    L’approche de Jean-Baptiste, survenant avec Jourdan, mit fin à ce colloque. Par la suite, le nouveau Jacobin et Claude se revirent fréquemment, au club d’abord, plus tard dans la chambre où Guillaume Dulimbert s’était installé, rue des Combes : une pièce assez basse, avec le lit dans une alcôve, une cheminée de bois noir, et, devant la fenêtre, une grande table déjà encombrée de brochures, de livres, de papiers. Dulimbert écrivait beaucoup, ses lunettes enlevées, son nez touchant presque la table. Par bien des côtés, il restait essentiellement mystérieux pour Bernard, encore qu’il lui eût raconté bribe à bribe le principal de sa vie. Singuliers, d’ailleurs, ces aveux d’un homme de quarante-six ans à un autre de vingt-six. Besoin de rompre, comme il le disait, sa solitude ? Peut-être. Pourtant il laissait bien des trous parmi ses confidences. Dans les vastes marges de ses récits, l’imagination brodait. Ses parents, morts depuis longtemps, étaient de gros commerçants de la rue Ferrerie, voisins alors des parents de M. Mounier. Guillaume, dernier-né, montrait de grandes dispositions pour les études. On décida de le faire entrer dans les ordres. À quinze ans, il fut envoyé au couvent des Bénédictins de Saint-Maur, à Clermont, comme novice. « Les travaux de ces moines savants me plaisaient, avouait-il. Mon jeune esprit a trouvé là bien des plaisirs. Au latin, au grec, que je possédais un peu, j’ajoutai la connaissance des langues hébraïque, arabe, turque, italienne, anglaise ; j’appris l’histoire des peuples et leurs littératures. Mais mon âme détestait la contrainte conventuelle, l’hypocrisie de la règle, le mensonge d’une superstition dont ma raison me démontrait l’absurdité ; j’exécrais

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