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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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moi d’opposer davantage des gens déjà trop montés les uns contre les autres. Les quantités de pain livré au prix établi, si elles ne sont pas surabondantes, suffisent cependant aux besoins. N’envenimons pas les choses. Au demeurant, toute cette fièvre de crainte, toute cette agitation se calmeront dès l’approche des beaux jours. »
    Malheureusement, ceux-ci étaient encore loin. Après le brusque adoucissement de la semaine précédente, le froid semblait près de revenir. De nouveau, la température baissait, régulièrement. Le ciel se remplissait de neige.
    Lise ne sortait pas moins, chaque après-dîner, pour aller chez sa sœur où ses airs à la fois rêveurs et ironiques déconcertaient Jacques Mailhard. Elle lui avait, sans le chercher le moins du monde, suscité un rival : François Lamy d’Estaillac, vingt-six ans, un vrai noble, vicomte, officier de la milice bourgeoise. Ils lui faisaient tous deux ouvertement la cour, sous les yeux complices de Thérèse. Les deux jeunes gens eussent été bien surpris d’apprendre que Lise venait auprès d’eux affermir un espoir et s’encourager à une confrontation qu’elle redoutait encore. Néanmoins, en quittant l’hôtel Naurissane, elle parcourait la ville sous prétexte d’emplettes, en réalité dans l’attente de certaine rencontre.
    Il lui eût suffi de guetter derrière l’une de ses fenêtres, pour voir, un soir ou l’autre, Bernard traverser la place en se rendant aux Messageries. Elle ne le savait pas. Ce fut dans la rue des Taules, non loin de la Monnaie, qu’elle l’aperçut, au crépuscule d’un jour sans lumière traversé par des flocons qui se décidaient mal à tomber. Bernard venait de faire une livraison à la mercerie Jourdan, nouvellement ouverte dans les vétustés dépendances de l’abbaye Saint-Martial. Il allait repasser à l’épaule la bricole de son charreton, quand il entendit une voix toute proche. Il se retourna, stupéfait, le cœur saisi par ces accents ressortant du passé. Lise était près de lui. Un peu haletante, elle le contemplait, les yeux brillants d’émoi, la figure rose sous la capuche d’une limousine doublée de fourrure. Sa bouche tremblait. Machinalement poli, il s’était découvert. Incliné devant la jeune femme, il la considérait avec froideur.
    « Bernard, Bernard ! »
    Elle avait tant à lui dire ! Tout se brouillait, tout se précipitait ensemble et fuyait à la fois. Ah ! qu’elle n’eût point à lui parler, qu’il la prît dans ses bras ! Elle fermerait les yeux et tout serait comme si…
    « Vous me détestez », dit-elle.
    Que signifiait cette nouvelle métamorphose ? Aujourd’hui, ce n’était plus la fière M me  Mounier-Dupré. Elle ne détournait plus la tête, elle ne le dédaignait pas, elle venait le relancer. Que cherchait-elle ?
    « Je vous ai détestée, répondit-il froidement. Puis je me suis guéri. Maintenant, je n’ai plus de rancune, ni aucun sentiment pour vous. »
    Elle baissa le front.
    « Je comprends. J’ai tout gâté par ma sottise, je vous ai fait tant de mal ! Ce n’était pas ma faute, je ne savais pas. »
    Relevant soudain la tête, elle le regarda dans les yeux, rougit violemment.
    « Je n’ai jamais aimé que vous. Je n’ai jamais cessé de vous aimer.
    — Daignez m’excuser, dit-il, je ne désire pas le savoir. Bonsoir, madame. »
    Il la salua, prit les brancards du charreton et partit vers la place Saint-Martial dont le sombre entourage se noyait dans la grisaille crépusculaire pointillée par les tournoiements de la neige. Des flocons se posaient sur les cils de Lise où ils fondaient, pareils à des larmes. Pareils seulement. Elle ne pleurait point. Elle n’était pas triste. Au contraire.
    Elle rentra chez elle en disputant sa mante au vent qui se levait. Un âpre vent du nord dont les souffles faisaient danser les réverbères sur leur corde. Toute la nuit, il hurla dans les cheminées, siffla sous les portes. Lise, chassée du coin de l’âtre, s’était mise au lit presque aussitôt après le souper. Derrière ses courtines, elle sentait cependant cette haleine glaciale, elle entendait les planchers, les boiseries craquer en se contractant sous l’effet du froid. Ce n’étaient pas ces souffles ni ces bruits qui la tenaient éveillée, immobile dans sa tiédeur au creux de la coite. C’étaient le bouleversement, l’espoir, une joie tremblante. Bernard pouvait bien affecter l’indifférence, il

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