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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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chevaux :
    « Écrivez-moi, Claude. Dites-moi ce que vous pensez. »
    Un réflexe de pitié, pour réparer un peu, au dernier moment, la sécheresse de leur séparation, pensait-il. Tandis que, de retour dans le logement vide, il s’allongeait sur son lit pour attendre le moment du départ, il entendait encore retentir cette ultime phrase, et longtemps il avait tenté de saisir le mystère que Lise représentait pour lui depuis leur récent entretien. Mais bien d’autres pensées se jetaient à la traverse. Saint-Michel égrenait des heures blanches sur lui qui se tournait et se retournait en se demandant à la fois – encore présent et déjà parti – s’il lui fallait décidément renoncer à son épouse, et si l’avis de Nicaut quant à des menées anglaises se vérifierait, ce que ferait Lise, lui absent, et ce qui l’attendait à Versailles. Assurément, le duc d’Orléans, si attaché à l’Angleterre d’où il revenait, pouvait avoir quelque secrète entente avec elle… Bernard était un garçon bien fait à tous égards pour plaire…
    À présent, sur la route que les lanternes de corne à lueur roussâtre éclairaient à peine, Claude brûlait d’atteindre le grand théâtre vers lequel la diligence l’emportait dans le tintamarre des roues et des grelots. Il n’en continuait pas moins de rêver à sa femme. Contre le fond d’arbres, de blêmes rochers, tirés un instant et confusément des ténèbres, son souvenir traçait sur la vitre le portrait de Lise avec sa bouche si tendre, ses clairs sourcils, le bleu de ses yeux dans leur frange blonde. Claude se rappelait tout ensemble sa sensibilité si vivante et sa douceur charnelle, trop peu goûtée. Dans le même temps, il voyait tous les embarras de l’entreprise où il était engagé. Les choses ne seraient pas si simples qu’il le croyait ingénument quelques mois plus tôt. Nicaut avait raison : la bataille, aux États généraux, exigerait les plus rudes efforts ainsi qu’une grande prudence. Pour comble, les risques les plus redoutables on allait les trouver dans le tiers même, à ses deux extrêmes : le bas peuple, la haute bourgeoisie. Il ne suffirait pas de mener l’assaut normal contre la Cour et ses alliés : privilégiés, dignitaires du clergé, ni même de combattre les gros bourgeois, comme on pouvait le prévoir depuis un certain temps ; il faudrait en outre se défier des périlleuses turbulences du petit peuple, sujet aux pires entraînements ainsi que l’on venait de le constater. Tout cela ne laissait point d’inspirer des inquiétudes. Claude enviait la tranquillité de Montaudon qui ronflotait dans l’ombre moins noire.
    Le jour naquit. Des hauteurs de Maison-Rouge, on le vit dorer les vallonnements encore confondus dans des brumes traînantes où s’ouvrait çà et là l’œil d’un étang. La lumière poudroyait en longs rayons jusqu’aux croupes des monts de Creuse. Presque aussitôt ce fut le relais, le déjeuner à l’auberge de poste : premier d’une succession de repas tardifs ou trop rapprochés, de couchers ou de levers en pleine nuit, d’étapes animées d’abord, jusqu’après Argenton, par les rudes côtes que l’on montait à pied en précédant la lourde voiture, puis monotones une fois atteintes les lignes droites du Berry, de la Sologne, de la Beauce. Et pourtant, comme le remarquait Montaudon, quel progrès en ce siècle de lumières ! Quatre jours au lieu des huit qu’il fallait autrefois pour aller à Paris.
    Ils embarquèrent au passage la députation de Châteauroux. Le mardi soir, après un ultime relais à la Croix-de-Berny, la diligence se présentait à la barrière d’Enfer, devant l’enceinte d’octroi élevée par les fermiers généraux, ce corset impopulaire qui faisait dire : Le mur murant Paris rend Paris murmurant. Le véhicule s’arrêta contre un des pavillons à colonnades ; les préposés visitèrent la caisse, le coupé. On franchit la grille. Longeant l’Observatoire, on descendit entre des terrains vagues et des jardins vers la place Saint-Michel, pour gagner celle des Victoires, sur la rive droite, où se trouvaient les Messageries.
    La sœur de Claude, Gabrielle, l’aînée des enfants Mounier, habitait, avec son mari Jean Dubon, sur le Pont-Neuf, face à la statue du roi Henri IV, une des deux maisons à encadrements de briques qui formaient comme le goulet de la place Dauphine. La leur faisait l’angle du quai des Morfondus, dit encore

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