L'Amour Et Le Temps
bimbelotière au corsage prometteur. Malgré les appels du « tondeur de chiens, coupeur de chats » qui installait son attirail sur le trottoir, au pied du cheval vert du Vert Galant, Claude en se faisant la barbe devant la croisée entendait les propos de la boutiquière et du soldat. Le seul souci dont témoignassent leurs paroles n’avait vraiment aucun rapport avec le pain cher ou les lenteurs apportées à la réunion des États.
Sur le conseil de son beau-frère partant pour l’assemblée des électeurs, Claude se rendit, lui, à Versailles afin de retenir un logement. Là-bas, il s’aperçut qu’effectivement il était temps de s’en occuper : de nombreux représentants, parvenus depuis la veille ou l’avant-veille, avaient déjà pris leurs quartiers. Les délégués de Bretagne, certains dans leur pittoresque costume local, occupaient l’hôtellerie que Dubon lui avait recommandée. En traversant l’avenue de Saint-Cloud, il rencontra Legrand : un des Berrichons avec lesquels il avait voyagé depuis Châteauroux. Legrand le conduisit à son hôtel, dans l’avenue même, où Claude prit une chambre pour lui et une pour Montaudon resté à Paris. Quarante-cinq livres par mois, plus la nourriture. « C’est diantrement cher !
— Bah ! fit Legrand, le gîte est bon. D’ailleurs, nous n’allons pas rester ici des éternités. Il y en a qui paient d’un coup trois mois. J’espère bien en avoir fini plus tôt. »
Claude comptait rentrer chez sa sœur pour dîner, mais il lui restait à retenir des logements à l’usage de son beau-frère Naurissane et de M. de Reilhac qui lui en avaient donné la commission. Ils devaient arriver le samedi seulement, en poste dans la berline de Louis : moyen bien plus rapide, bien plus commode qu’un voyage en diligence.
Il prit donc son repas avec les Berrichons. Ils lui dirent que la séance inaugurale n’aurait probablement pas lieu dimanche. Dubon ne se trompait donc pas. Quand serait-on fixé ?
« Ce soir, paraît-il. »
Après avoir prévenu sa sœur par un mot qu’il confia à un voiturier, Claude demeura sur place pour savoir à quoi s’en tenir. Il n’apprit pas grand-chose, et seulement dans la matinée suivante. Ces nouvelles semblaient donner raison à son beau-frère : la députation de Paris ne se trouvant pas prête, ni la salle des Menus-Plaisirs que l’on réaménageait pour les assemblées, l’ouverture des États était repoussée à quelques jours. On ne disait pas quand.
IX
Sitôt son mari en route, Lise regretta d’être retournée à Thias pour lui faire plaisir. Émue après leur imprévisible entretien, remuée au moment du départ, elle fut, dès le lendemain au réveil, reprise par la défiance. Avec son habileté, Claude ne l’aurait-il point dupée une fois de plus ? En déclarant lui laisser sa liberté, n’escomptait-il pas la retenir par là même d’en user ? C’était le meilleur moyen de l’enchaîner, si elle s’y laissait prendre. Tellement plus adroit que n’importe quelle coercition. Claude la rendait prisonnière d’elle-même, de l’émotion qu’elle devait nécessairement ressentir devant une telle preuve d’amour jointe à une si noble générosité. En outre, il profitait de ce trouble pour l’envoyer chez ses parents, la mettant ainsi sous surveillance, alors qu’en ville elle aurait eu toute commodité pour recevoir Bernard chez elle, seul à seule, car il lui eût été facile d’éloigner Mariette.
Une pareille manœuvre, pleine d’astuce, ressemblait davantage à Claude qu’un élan du cœur. Mais s’il ne l’aimait pas, pourquoi donc tenait-il à la garder au moyen de ce stratagème ? Par orgueil, naturellement, se répondit-elle. Par amour-propre.
Dans l’après-dîner, elle vit Bernard. Toute la famille Montégut était là, par ce beau dimanche. Jean-Baptiste vint faire sa partie. Comme il ne pouvait être question de descendre à l’étang sans chaperon, Lise se rendit à la petite maison, où Léonarde, malgré tout, ne l’accueillit pas mal. Tandis qu’elle maniait activement la binette, sarclant les allées envahies par l’herbe printanière, les deux jeunes gens, sur le banc, à l’ombre du tilleul, causaient, d’une façon qu’il fallait bien avouer entièrement innocente.
Bernard trouvait là enfin l’occasion de questionner la jeune femme. Elle lui expliqua comment elle s’était écartée de son mari après avoir découvert qu’elle lui
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