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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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livres d’aumônes. Quatre cent mille, vous entendez ? Le duc d’Orléans a donné au moins le double. Eh bien, c’est une goutte d’eau tombée dans un désert. Il y faudrait quatre cents millions. Ou du travail pour tout le monde. Il n’y en a plus. Voilà d’où vient la misère. La raréfaction de l’argent dans la bourgeoisie moyenne, écrasée d’impôts, a provoqué le marasme de nombreux métiers. Nombre d’artisans, de boutiquiers, de petits fabricants ne gagnent plus assez pour payer suffisamment leurs ouvriers ou leurs commis, quand ils ne sont pas contraints même de les abandonner au chômage.
    — Je sais bien, hélas ! dit Claude. C’est le cas dans la manufacture de notre père.
    — Encore une fois, combien avez-vous de chômeurs à Limoges ? Dix, vingt peut-être ! À Paris, il y a des milliers d’ouvriers sans travail. Il en arrive encore de province tous les jours qui espèrent trouver emploi. Ils viennent en réalité grossir l’armée des meurt-de-faim. Ce n’est pas une métaphore, croyez-le. La mortalité dans le bas peuple, depuis cet hiver, a quelque chose d’effrayant. Ah ! vous en verrez, des enterrements de pauvres ! Comment une telle masse de gens, pour la plupart quasi sans pain, certains même sans logis, ne finirait-elle pas, un jour, par perdre patience ?
    — Oui, j’entends bien, il y a là quelque chose de lamentable, de terriblement explosif, mais nous, les députés des communes, nous sommes venus de tout le royaume pour changer cela.
    — En aurez-vous le moyen avant qu’il ne soit trop tard ?
    — Je l’espère. Il faut l’espérer », dit Claude.
    Quoique fatigué, il dormit mal après cette conversation. Il se leva tôt, impatient d’agir et ne sachant que faire en l’occurrence. Il ouvrit sa fenêtre. Le jour était clair ; le ciel, limpide comme ces « gouaches lavées » que Gabrielle se plaisait à peindre. Le soleil l’éclairait dans ses hauteurs. Masqué encore par les maisons dont la masse élevée chargeait le Pont-au-Change, et par la Conciergerie, la masse du Palais de justice, il laissait dans une cendre bleuâtre la partie ouest de la ville, en avant du Pont-Neuf. La statue d’Henri IV sur son cheval de bronze, la pompe de la Samaritaine, tout au bout du pont, vers la droite, s’enlevaient dans la légère gaze qui flottait sur la Seine encombrée par la batellerie du port Saint-Nicolas. Barques, bateaux, gabares s’aggloméraient en désordre sous le Vieux Louvre sombre dont seuls les toits brillaient au soleil, et tout au long de la Galerie du Bord de l’Eau, qui le joignait au palais des Tuileries. L’enfilade des fenêtres fuyant à l’infini reflétait les miroitements du fleuve. Sur la rive gauche, s’illuminait en plein ciel la coupole du Collège des Quatre-Nations arrondi en demi-cercle devant la balustrade bordant là le quai de Conti. Loin là-bas, par-delà le Pont-Royal, par-delà encore les échafaudages du pont LouisXVI en construction entre la place LouisXV et le palais Bourbon, les frondaisons neuves du Cours-la-Reine mettaient à ce paysage de pierre, de toits, de quais, de rues et d’eau, une frontière verdoyante derrière laquelle les collines de Chaillot s’estompaient dans la brume.
    Claude retrouvait là le Paris qu’il avait toujours connu depuis le temps où, logé dans cette même chambre sous les combles, pensionnaire chez son beau-frère, il prenait ses grades aux écoles de la Faculté de droit. Rien ne semblait beaucoup changé. Ce bon Jean tournait-il au pessimisme, avec l’âge ? La ville paraissait calme, confiante comme toujours. Elle commençait à s’animer de sa vie la plus tranquillement quotidienne. Une véritable armée de maçons, pareils d’ici à des fourmis blanches, s’activaient déjà autour du palais Bourbon auquel le prince de Condé faisait, semblait-il, ajouter un édifice. Tout le monde ne manquait donc pas de travail. Un coche d’eau chargé de voyageurs descendait le grand bras. Les batelets à un sol qui passaient les gens entre le pavillon des Arts et le quai du Louvre, entamaient leur va-et-vient. Sous la fenêtre, le train des passants, des voitures reprenait. Venant de la rue Dauphine, des charrettes chargées de légumes s’en allaient vers la Halle. Les volets des échoppes, dans les petites rotondes du pont, se levaient, découvrant des éventaires bien garnis devant l’un desquels un archer du guet plaisantait gaillardement avec une

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