L'Amour Et Le Temps
parents Mounier. Lise se sentait sans cesse plus proche de sa charmante belle-mère. Ce fut en parlant d’elle qu’elle commença une réponse à Claude. Il n’en avait pas demandé ; elle n’en savait pas moins qu’il en espérait une. Intimidée à son tour, elle la lui avait fait déjà trop attendre. Elle était émue de lui écrire pour la première fois. Assise devant son secrétaire, la plume à la main, elle l’évoquait avec une grande précision. Son air attentif et bienveillant, la jeunesse qui refleurissait si vite dans son sourire, ses traits un peu amaigris ces derniers temps, tout cela – et ses yeux clairs, ses dents un peu carrées, ses lèvres sanguines –, tout le visage de son mari se peignait devant elle tandis qu’elle lui parlait en elle-même avec l’amitié la plus tendre. Sa main transcrivait rapidement. La plume d’oie grinçait sur le papier à vergeures, mêlant son cri au babil des fauvettes nichées devant la fenêtre, dans la glycine. Le soleil inondait la chambre bleue et blanche, aux meubles de bois clair, cernait la joue de Lise, nimbait sa tête poudrée. C’était exactement le tableau que s’était figuré Claude, mais il n’eût point imaginé sa femme lui écrivant une lettre si affectueuse.
XII
Malheureusement, elle lui parvint au milieu d’une effervescence où l’amour n’avait nulle place. Il la reçut pour ainsi dire au vol, des mains d’une servante, en quittant vivement l’hôtel du Renard. Il la parcourut en chemin, avec avidité, quoique préoccupé par la crise qui allait, ce jour même, atteindre son point d’explosion : le sort des États, l’avenir, tout était entre les mains des curés de campagne.
La bataille qu’il prévoyait en quittant Limoges, s’était soudainement engagée, au lendemain de la séance d’ouverture où il avait fait acclamer la Reine. Le second jour devait être consacré à la vérification de leurs pouvoirs, à eux tous : pouvoirs dont les électeurs des bailliages et des sénéchaussées les avaient investis. Il fallait en fournir la preuve pour que les États fussent valablement constitués. On allait donc s’assembler pour accomplir cette besogne. Or, avant même d’entrer dans la grand-salle où s’était tenue, la veille, la séance royale, Claude, arrivant avec Montaudon, Legrand, Barnave et M. de Reilhac qu’ils avaient trouvés en cours de route, apprenaient tous avec la même stupéfaction, par la rumeur des curieux groupés devant les Menus, que la noblesse et le clergé, réunis à part dans deux autres salles de l’hôtel, se refusaient à opérer en commun. Ils prétendaient siéger chacun dans son local.
« Ah bien, ça ! s’exclama Legrand, suffoqué ! Ça, ma parole ! »
Coup imprévisible, inconcevable. Il ne s’agissait plus, cette fois, d’une avanie. Tout le monde avait compris qu’un tel refus remettait en question le système du vote par tête. Si les trois ordres délibéraient séparément, ce principe essentiel était anéanti, le doublement du tiers devenait une pantalonnade.
« Il faut à tout prix obtenir la réunion », dit Barnave en se hâtant vers la grand-salle.
Lorsqu’ils y pénétrèrent tous les cinq, un gros homme en qui, de plus près, ils reconnurent l’affreux comte de Mirabeau, campé devant la table au bas de l’estrade, dénonçait à grand bruit la traîtrise de la Cour. Elle avait, proclamait-il en dressant son mufle vérolé, découvert ce moyen d’annihiler le doublement obtenu par Necker. Tout cela était dit d’une voix prodigieuse, chaude, empoignante comme des grondements de bronze, mais ne servait à rien, qu’à enfiévrer le public des tribunes.
« Du vent, dit Claude. Ne fera-t-on pas quelque chose ?
— Et quoi ? répondit Montaudon. On ne peut pas les amener de force. »
Un des Bretons, Lanjuinais, député de Rennes, très fort juriste, un fidèle du café Amaury où Claude aimait voir sa belle figure ferme, s’avançait vers la table. Arrêtant d’un geste le transfuge de la noblesse : « Messieurs, dit-il, nous ne pouvons point forcer nos collègues à nous rejoindre, mais peut-être saurions-nous les en convaincre en nous adressant personnellement à eux. Je propose que chacun de nous aille trouver ses compatriotes représentant la noblesse et le clergé de notre petite patrie, et, leur parlant le langage du cœur, les amène à se fondre avec nous tous dans la grande patrie française. »
La proposition fut
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