L'Amour Et Le Temps
Claude avait eu la malchance de venir trop tard, quand elle ne disposait plus d’elle-même. Elle ne pouvait désormais lui donner que la part de sentiments dont elle restait maîtresse. Ah ! ceux-là, certes, elle n’en serait pas avare envers lui !…
Quand elle rentra, la lettre glissée dans son corsage, son petit panier de fraises à la main, les plus paisibles élans du cœur l’animaient seuls. Son air rassura M me Dupré : non, Dieu merci ! il n’y avait rien de changé.
Les jours suivants, tandis que s’affirmait dans l’esprit de Lise la certitude de ne jamais « revenir » à son mari, parallèlement la sympathie, l’admiration, la reconnaissance s’accrurent en elle. Assurée de n’être que de l’amitié, son amitié pour lui se développa librement, aiguillonnée, au fond, par le remords. Jamais Claude ne l’avait tant occupée. Le dimanche, quand vint Bernard, tout en paraissant se parler d’eux-mêmes, ils ne parlèrent en réalité que de l’absent. Léonarde « n’en croyait pas ses oreilles ». Non loin d’eux, occupée à repiquer des sauges, elle les entendait. Ces amoureux, chantant à l’envi les louanges d’un époux dont ils attendaient sagement leur bonheur, la laissaient pantoise. Ils lui semblaient extravagants, comme elle trouvait extravagante l’idée qu’un mariage pût un jour se défaire. Sans être dévote, Léonarde était croyante. Tout en elle s’opposait au concept du divorce. Il avait bien fallu pourtant lui révéler le dessein de Claude, sa promesse, pour justifier ces rendez-vous dans le clos, où M. Dupré ne pouvait empêcher sa fille d’aller visiter M me Montégut, encore qu’il vît d’un très mauvais œil cette habitude. Le vieux négociant savait parfaitement pourquoi – pour qui – Lise passait des heures chez leurs voisins. Il n’aimait pas du tout cela. M me Dupré avait beau lui dire que cette enfant était à présent très éprise de son mari : « Dans ce cas, répliquait-il, elle n’a aucun motif de poursuivre ses relations avec le petit Delmay, surtout en l’absence de Claude. Fais-le-lui comprendre, ma bonne. Ou bien j’y mettrai le holà. »
Lise devinait cette menace. Elle ne l’inquiétait guère, car Thérèse, gagnée peu à peu à Bernard, et finalement conquise, leur offrait asile dans sa propriété de Panazol où ils seraient, disait-elle, « libres comme l’air ». Pour Lise, rien ne pressait : tant qu’ils se retrouveraient ainsi sans trop de gêne, mieux valait ne point compliquer les choses. N’avaient-ils pas la vie entière pour eux ? Bientôt la promesse de Claude se réaliserait. Ce temps d’attente, c’était leur période de fiançailles. Une telle placidité, une « si ridicule naïveté » mettaient Thérèse en ébullition.
« Ma pauvre Lison, tu es une véritable petite oie blanche. Si ton mari n’était pas un menteur, il aurait déclaré à nos parents qu’il entendait te rendre maîtresse de toi-même. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait en t’accompagnant auprès d’eux ? En bonne logique, il aurait dû leur expliquer alors la situation.
— C’eût été trop tôt, ils n’auraient pas compris. Et ils ne comprendraient pas, aujourd’hui non plus. Il faut être jeunes comme nous pour entendre les idées de Claude.
— Je ne les entends pas comme toi. Il t’a mise ici dans une intention bien autre que tu te l’imagines, voilà la vérité. Connaissant notre père, il t’a placée sous sa surveillance : la plus vigilante qu’il pouvait trouver pour te défendre de toi-même.
— Quelle erreur, ma bonne ! Il m’a installée à la campagne par crainte de troubles en ville.
— Ah oui ! Et Louis n’a pas hésité à me les laisser courir, riposta Thérèse en haussant ses belles épaules. Des troubles ! Que vas-tu croire ? Rien ne peut se produire, d’Ablois nous l’assurait encore hier soir. Les esprits fermentent, on s’agite, mais la milice est en armes, elle aurait vite réprimé… D’ailleurs, depuis le départ de nos zélés réformateurs pour ces États si peu pressés de porter remède à quoi que ce soit, il n’y a plus personne à Limoges pour provoquer la canaille et se donner les gants de
Dans la disposition où se trouvait Lise, ces pointes, cette obstination contre Claude la blessaient. Elle s’écartait de Thérèse. Celle-ci, percevant le recul de sa sœur, venait moins souvent à Thias. En revanche, on y voyait beaucoup les
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