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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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lut d’une façon superficielle, en marchant vite. Il avait perdu un moment, car il s’était coupé en se faisant la barbe. L’appel devait être commencé. Les réfractaires viendraient-ils à résipiscence ? Question très surexcitante, à bien des égards.
    Il tenait encore la lettre en main quand il entra dans la vaste salle, avec son estrade vide sur le fond violet à fleurs de lys. Les tribunes étaient combles. Au parquet, ni satin, ni or, ni plumes. Seuls, les roturiers en manteau de crêpe occupaient les banquettes. L’un d’eux, debout derrière la longue table, à côté de Bailly, appelait nom après nom. On entamait le B. Claude alla rejoindre sa place entre Montaudon et Robespierre.
    « Eh bien, dit-il à celui-ci, la bombe a fait long feu !
    — Il ne faut pas s’en réjouir, répondit d’un ton austère le député d’Arras. »
    Claude reprit la lettre. Il ne faut pas s’en réjouir. Oui, sans doute, en toute honnêteté. Étrange petit bonhomme, ce Robespierre ! Au fond de lui-même, il détestait probablement Mirabeau et jalousait Sieyès, tout comme lui, Claude. On ne pouvait savoir. Rien de ses sentiments ne transpirait jamais. Ses aveux, quand il en laissait passer entre ses lèvres minces, étaient tout aussi apprêtés que sa tenue, aussi guindés que son extrême politesse. Au fond, un timide, peut-être. Un homme ou prodigieusement vertueux ou remarquablement hypocrite. Était-il donc assez pur pour déplorer un échec de ses rivaux, quand leur succès eût servi le bien public ?… Décidément, le lieu ne convenait pas à la lecture d’un message intime. Claude le remit en poche. L’appel se poursuivait, monotone. Sauf les députés attendant immédiatement d’entendre leur nom, nul n’écoutait. On conversait à voix basse. Sans cesse, au moindre bruit de porte, toutes les têtes se retournaient. Ce n’était jamais que pour voir paraître quelques retardataires. À la suite de Montaudon, « Mounier-Dupré, Claude, Jean, Charles » alla présenter ses lettres de mission, à la vue desquelles Bailly, constatant que c’était un des plus jeunes élus, lui demanda s’il ne voudrait point remplacer l’appelant. Il prit donc la liste, et, pendant une heure, remplit l’office de héraut. Après quoi, remplacé à son tour, il sortit. Il s’installa sur un coin de banc, dans le jardin des Menus-Plaisirs, plein de Parisiens jacassants – les mêmes que l’on voyait aux Tuileries, au Luxembourg, ou bien au Palais-Royal. Un renouveau d’intérêt les ramenait au spectacle des États.
    Claude dépliait de nouveau la missive de Lise, lorsqu’une figure, passant dans l’avenue, lui sauta quasiment aux yeux. Cet étrange menton long et lourd, cette lèvre inférieure en lippe, l’avaient déjà frappé, une fois. Où ? Quand ? Ils se rattachaient dans son souvenir à une sensation de malaise. Il suivit un instant du regard l’homme dont la face blême, comme rance, se confondit dans le public parmi le papillotement des visages. Soudain Claude revit ce même miroitement de lunettes épaisses, dans une ombre, entre le bord d’un chapeau et un col relevé. Parbleu, oui ! il avait vu ce singulier personnage un soir, un soir printanier même, avec un ciel rose et vert. L’individu l’avait agacé. Pourquoi ? Qui était-ce ? Cela se perdait dans la multiplicité des impressions, des nouvelles figures, qu’il avait connues depuis deux mois. Il abandonna le problème et revint, tout entier cette fois, à la lettre.
    « Mon ami très cher », avait écrit Lise. Un peu amortie par une première lecture – distraite – l’émotion le remuait néanmoins. Cette émotion augmenta, chassant pour le moment toute préoccupation étrangère, à mesure qu’il relisait – qu’il lisait bien, à présent. Il n’avait pas remarqué d’abord, et Lise elle-même ne semblait pas s’en être rendu compte, que le message dépassait son sens littéral, pouvait-on croire. Stricto sensu, il exprimait seulement, avec toute la délicatesse et la fraîche vivacité de Lise, le remords, l’affection, la reconnaissance. Mais était-ce s’abuser que de voir un regret derrière ce remords, dans cette reconnaissance plus que de la gratitude, dans un abandon si tendre plus que de la simple affection ? Comment savoir, si loin d’elle, s’il ne se trompait point ? Il aurait fallu aller là-bas, tout de suite. La diligence de Limoges était en route depuis ce matin. Il pouvait

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