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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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porte, contenant avec peine le vif élan qui me poussait vers vous. La certitude de vous déplaire, la crainte de me rendre décidément odieux et de vous perdre tout à fait me ramenaient à la raison. Le seul remède me semblait être la patience. Je la cherchais dans le travail, je l’y cherchais à corps perdu. Il est vrai, Lise, que je vous ai, non pas négligée comme j’en ai peut-être convenu lâchement et comme vous me l’avez redit en m’accusant de mettre l’amour de côté pour le reprendre plus tard à loisir, non pas négligée mais fuie un peu. Oui, en vérité, fuie, pour retenir en moi la vivacité des sentiments, le désir tendre et ardent que j’avais de vous. Vous pouvez concevoir cela maintenant et connaître que mon intérêt pour les affaires publiques, une ambition (à laquelle, encore une fois, vous étiez, dans mon cœur et mon esprit, attachée) ne m’ont pas seuls écarté de vous. Comment vous eussè-je consacré plus de soins, quand je voyais à quel point les moindres d’entre eux vous étaient importuns ! » Il s’étendait là-dessus, expliquant que le besoin de fuir ses soucis personnels l’avait engagé davantage dans l’action publique. « Voilà – outre les motifs que je vous ai donnés – pourquoi j’acceptai d’écrire dans La Feuille hebdomadaire. La chose n’eut aucun rapport avec les Naurissane. On a pu avoir cette idée. Elle me paraît absurde, comme je trouve monstrueuse l’opinion selon laquelle je vous aurais épousée pour tout motif autre que le plus tendre amour. Mais vous avez raison de me croire hypocrite. Ah ! mon amie, qu’il est difficile de se montrer vraiment sincère ! En ce moment où je vous ouvre à deux mains mon cœur, il s’y cache encore un mensonge. Dois-je vous l’avouer ? Même loin de vous, quoique si près par l’ardeur de l’âme et des sens, j’ose à peine vous dire ce que je pense, ce que je dissimule, ce que j’espère malgré toute logique. Je vous mens, Lise, en feignant d’être convaincu que tout est fini entre nous, d’en souffrir mais d’en prendre mon parti. Non, je ne m’y résouds pas. Je saurai peut-être, s’il le faut, me contraindre à n’être plus que votre ami, mais je ne m’y résoudrai jamais. Je vous aime, ma chère, ma si chère ! Je vous aime. Ah ! si vous saviez combien j’ai mal, ce soir, dans mon cœur et dans ma chair amputés de vous ! Combien tout est amer quand je ne peux plus me retremper par moments dans la douceur de votre grâce, dans votre pureté. Même votre dédain, si seulement vous étiez là, me serait un bienfait, ce soir. J’ai tort de vous dire cela, je me reproche ma faiblesse. Je ne peux pourtant pas ne point espérer, contre tout ce que la raison me démontre, qu’un jour vous me reveniez. J’ai beaucoup hésité à vous faire cet aveu, ajoutait-il. Finalement, je ne le crois pas susceptible d’apporter des entraves à votre liberté. N’ai-je pas le droit de vous aimer ? Vous avez celui de ne pas lire cette lettre si le commencement vous en a déplu. Je ne pense pas non plus qu’il soit déshonnête envers Bernard de vous disputer à lui avec des moyens loyaux ; déraisonnable seulement, car je le sais plus digne de vous que moi, mais le cœur suit mal les conseils de la sagesse. De toute façon, Lise, restez-en bien assurée, quelle que soit la manière dont vous concevez votre bonheur, le mien sera toujours de le faire, quel qu’en soit le prix. »
    Lise reposa sur ses genoux le papier verdi par l’ombre qui, peu à peu, la couvrait tout entière d’une chape glauque. Seul, un de ses pieds, encore atteint par le soleil, éclatait de toute la blancheur du soulier. C’est ainsi que M me  Dupré, dans la cuisine, la voyait par la fenêtre. Elle la trouvait bien pensive. Cette enfant allait-elle une nouvelle fois changer d’humeur ?
    Pensive, en effet, émue, Lise écoutait en elle la rumeur des phrases qui lui avaient paru dites à l’oreille. Ses sentiments se confondaient en une mélancolie faite de pitié tendre et de remords. Au milieu de son attendrissement, perçait néanmoins une petite révolte, à la fois contre Claude et contre elle-même. Contre lui, à cause de l’espoir qu’il exprimait. Contre elle parce qu’elle ne voulait pas entendre parler d’un semblable espoir. Elle s’accusait de ne pouvoir, pour tant d’amour si discret, rendre à Claude qu’ingratitude. Au fait, ce malheur, elle n’en était pas responsable.

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