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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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emprunter celle de Toulouse, qui partait dans deux jours : elle le mettrait à Limoges dimanche et l’y reprendrait le jeudi suivant, pour le ramener à Paris le dimanche soir. Douze jours d’absence, en ce moment ! Voyageant en poste il irait deux fois plus vite : en partant aujourd’hui même, mardi, il pourrait être de retour pour la séance de lundi matin, après avoir passé presque deux jours avec Lise. Hélas ! une telle dépense excédait mille fois ses moyens. La diligence coûtait déjà fort cher, même dans le cabriolet : près de cent francs pour l’aller et le retour. Il lui fallait ménager très strictement ses deniers. C’est qu’il ne gagnait plus rien, maintenant.
    Il se leva, aiguillonné, fiévreux, hésitant malgré tout. Quelqu’un lui toucha le bras. C’était l’abbé Grégoire, sa bonne figure de poupon contrastant avec sa corpulence de quadragénaire. Il sortait tout guilleret de la salle du clergé, où, dit-il, levait la révolte qu’il orchestrait. « Venez au club, ce soir, mon cher enfant, vous entendrez de bonnes nouvelles. Dès demain, plusieurs d’entre nous vont vous rejoindre. Les évêques faiblissent. Quant à la noblesse, on y est prêt à s’entrecouper la gorge. Je gage que d’ici une semaine, au plus, la réunion sera chose faite. »
    En effet, le lendemain trois prêtres se présentèrent, acclamés par l’assistance. Le jeudi, l’abbé Grégoire en amena cinq autres. Il en vint dix, le jour suivant. Claude n’était point parti. Il pensait à Thias avec une nostalgie qui le submergeait par moments, mais la fièvre des événements le retenait ici, dans cette salle étouffante sous sa verrière que le soleil de juin incendiait du matin au soir.
    Après la réunion, les États enfin établis et les mesures urgentes prises, il y aurait certainement une accalmie. Il pourrait alors s’absenter. En attendant, il se contenta d’écrire à Lise. Mal, du reste, trop vite, entre un article pour La Feuille hebdomadaire et des conciliabules avec l’autre Mounier, Lanjuinais et Le Chapelier qui étudiaient un projet de constitution. Encore un. Celui-là, avec des juristes pareils, c’était bien autre chose que les à-peu-près de la Société d’Agriculture. Barnave, ayant au hasard d’un propos découvert la profonde érudition de Claude en matière d’institutions, le leur avait recommandé. Un peu intimidé quoique fort de sa science, il travaillait assidûment avec ces hommes, plein de respect pour eux, très attiré par Lanjuinais surtout, dont il aimait la belle tête calme, au menton fendu, au ferme modelé de médaille. Il trouvait à cette figure, comme à la solidité du personnage, quelque chose d’antique. Son austérité même lui plaisait. Lanjuinais était janséniste. Gallican convaincu, il voulait soustraire le clergé français à l’influence romaine. « On ne saurait admettre, disait-il, que les ministres du culte, jouant dans notre société un rôle si important – trop important, d’ailleurs ; il faudra le réduire au culte seul – placent avant le sentiment national l’obéissance à une autorité qui n’est pas de chez nous. » Claude lui parla du divorce. Lanjuinais s’y opposait, arguant de la désastreuse tentative faite par l’empereur Joseph pour instituer en Autriche le mariage civil et le divorce. Il y eut là-dessus des discussions acharnées, où Le Chapelier, plus souple, mettait de l’huile. Au cours de l’une d’elles, Sieyès à qui les constitutions faisaient autant d’effet qu’à Montaudon les jolies femmes, soutint la thèse de Claude.
    « À mon avis, dit-il avec son accent chantant du Var, ce jeune Mounier-Dupré a raison, c’est décidément un garçon plein de profondeur. Il ira loin. »
    Eau bénite, instinct de flatterie naturel à l’ancien aumônier de Mesdames, pensa Claude. Malgré tout, il se sentit moins d’aigreur contre Sieyès. Il fallait bien reconnaître en lui un génie de la logique. Assez inquiétant même, dans sa force. Une fois parti sur une idée, il allait au bout, comme un rocher sur une pente. Rien ne l’arrêtait. Cela donnait un peu le vertige.
    La vérification des pouvoirs se poursuivait dans la salle des États. Elle se termina seulement le mardi 16. Défaut fut alors rendu contre les non-comparants. Aux applaudissements de plus de deux mille personnes qui avaient envahi les tribunes ou se pressaient au pied de celles-ci, les députés du tiers ordre, unis

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