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L'Amour Et Le Temps

L'Amour Et Le Temps

Titel: L'Amour Et Le Temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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vais vous montrer le chemin. »
    Escortés par des curieux que le temps ne décourageait point et par les gazetiers assidus aux séances des États, ils suivirent le médecin, en caravane, le dos rond, mal abrités sous quelques parapluies, misérable bande de barbets crottés, noirs et blanc sale avec leurs batistes dégommées, la poudre dégoulinante qui formait des coulures sur les manteaux. Mirabeau tonnait toujours, non plus majestueusement horrible, mais grotesque sous son bicorne ramolli dont le bord lui tombait sans cesse devant la figure. « On voit, dit Claude à Montaudon encore essoufflé par sa course dont il riait maintenant, on voit que M. le comte n’a pas l’habitude du chapeau sans bouton. »
    Le jeu de paume était vide, sans filet ni corde. Les princes ne devaient pas l’utiliser souvent. Le jour, entrant largement dans les hauteurs par les vitrages, donnait, avec ce triste temps, peu de clarté. Tout en longueur, rétrécie encore par la galerie des « ouverts » sous le toit de service aux planches poussiéreuses, avec le sol en pente depuis le « dedans » et le « tambour » (les parois de chaque fond) jusqu’au milieu, munie pour tout siège de deux ou trois bancs derrière les grillages des murs de batterie, cette salle n’était rien moins que l’endroit idéal pour les délibérations d’une assemblée. Claude toutefois se trouva là chez lui. Sous la charpente à gros chevrons, sur ce dallage dont ses pieds reconnaissaient l’inclinaison, il se sentait dans son fort. Les lignes blanches du jeu et des chasses, les lettres et les numéros peints en vert sur le « grand mur » et les batteries, donnaient à un ancien joueur infiniment plus d’assurance que les pilastres, les tapisseries, le velours fleurdelisé de la salle des Menus. C’était le cadre où il avait familièrement déployé sa vigueur, ses audaces, sa promptitude à saisir la balle au bond. Il retrouvait jusqu’à l’odeur : une senteur salpêtreuse, un peu moisie. Laquelle céda très vite à un puissant fumet de chien mouillé, quand huit cents personnes au moins, aux vêtements humides, se furent entassées dans ce local vaste mais trop petit pour une telle affluence. La salle, chauffée durant ces dernières semaines par le soleil tapant sur les vitrages, était suffocante par contraste avec le froid de la bruine, dehors. Une vapeur monta des étoffes ; une touffeur supplémentaire, des corps pressés les uns contre les autres. Le public poussait toujours pour entrer. Il avait envahi le pourtour grillagé. Des gens se juchaient dans les ouverts, sur le mur de batterie, en se tenant aux poteaux. D’aucuns même trouvaient moyen de grimper jusque sur le toit de service. On tirait de la galerie un des bancs, pour l’installer au seul endroit plan : l’emplacement du filet. Bailly se hissa sur cette estrade hasardeuse où Sieyès le suivit aussitôt pour reprendre sa proposition de transférer l’Assemblée à Paris – ce qui ne semblait pas plaire du tout à Mirabeau. Bailly estimait dangereuse une pareille translation : « Il serait trop facile de nous arrêter en route. »
    Cette éventualité d’une arrestation, possible à tout prendre quand on n’hésitait pas à faire charger des fusils pour interdire aux députés l’accès de leur salle, provoqua chez Claude une impulsion très vive. S’appuyant à un dos qui le pressait, – peut-être bien celui de Legrand –, il s’élança lui aussi sur le mur des ouverts. Là, dominant les têtes dépoudrées, les cravates en chiffon, les faces suantes, la houle des épaules, il lança de tout son gosier, comme le jour de l’émeute dans l’Abbessaille : « On veut nous dissoudre. Eh bien, il faut déclarer que nous sommes inséparables, que partout où nous nous trouvons se trouve la nation, maîtresse de sa volonté et de ses droits. » Il cherchait à condenser son idée lorsqu’il se sentit accroché par la basque. C’était Mounier. Le Grenoblois faisait des signes. « Mounier demande la parole », annonça Claude en le hissant près de lui. On entendit alors la voix faible, voilée, dire : « À la puissance de la Cour nous ne pouvons opposer que notre résolution. Jurons donc de ne jamais nous séparer, de nous rassembler partout où nous entraîneront les circonstances, jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et solide sur ses fondements. »
    Aussitôt, les applaudissements éclatèrent. Bien des

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