Lancelot du Lac
d’une légitime fierté. Il se prépara donc à recevoir la reine et ses compagnons avec magnificence. Dès que le guetteur eut annoncé leur arrivée, le roi lui-même descendit sur le pré, devant la forteresse, en compagnie de sa sœur Morgane, de Girflet, fils de Dôn, d’Yvain, fils du roi Uryen, d’Agravain, son neveu, frère de Gauvain, ainsi que de nombreux chevaliers qui se trouvaient présents. Lorsqu’il aperçut la reine, il alla jusqu’à elle, l’aida à descendre de sa monture et la prit dans ses bras, la serrant longuement contre lui. Puis, se retournant vers Gauvain qui venait le saluer, il lui dit : « Beau neveu, que de reconnaissance je te dois ! Un tel exploit est digne des plus grands héros de ce monde ! Réussir à détruire les enchantements d’une détestable coutume n’est pas à la portée du premier venu. Je suis fier du fils de ma sœur ! – Mon oncle, répondit Gauvain, je m’étonne de ton enthousiasme envers moi, car la gloire de cet exploit ne me revient pas. En me rendant honneur, tu me couvres de honte, car lorsque je suis arrivé dans la cité de Gorre, tout était terminé. Ma trop grande lenteur a causé mon échec. C’est à Lancelot que tu dois le retour de la reine, de Kaï et de tous les exilés, et je dois dire que le grand renom qu’il s’est acquis ainsi n’a jamais été atteint par aucun chevalier. »
Ce fut au tour d’Arthur d’être saisi d’étonnement. « Comment cela ? fit-il. Beau neveu, je t’en prie, ne me fais pas languir. Parle-moi sans délai. – Mais, mon oncle, tu connais tout cela, puisque Lancelot est avec toi. – Lancelot ? s’écria Arthur. Cela fait des semaines que je n’en ai pas de nouvelles. Pourquoi n’est-il pas avec vous puisque tu me dis que c’est lui qui a réussi l’entreprise ? » Gauvain ne répondit pas, comprenant soudain que la lettre qu’ils avaient reçue dans la cité de Gorre n’était pas de Lancelot, et il fut saisi d’angoisse à son sujet. De toute évidence, il y avait là machination dont l’instigateur, à n’en pas douter, ne pouvait être que le traître Méléagant. Il prit son oncle par le bras. « Roi, dit-il, il se passe des événements graves, il faut que nous en parlions. » Alors, ils entrèrent dans la forteresse.
Ce fut Kaï qui raconta tout ce qui s’était passé, et Guenièvre ne put qu’ajouter certains détails que le sénéchal ne connaissait pas. Arthur, effondré, se tourna vers Morgane. « Ma sœur, dit-il, toi qui connais tant de choses, quel est ton avis ? – Mon frère, répondit-elle, je connais, comme tu dis, bien des choses, mais je ne suis pas Merlin, et je n’ai pas le pouvoir de divination. Mais si tu veux mon avis, il n’y a pas lieu de s’inquiéter pour Lancelot. Tu sais d’où il vient, et quelle est la femme qui l’a conduit vers toi : la Dame du Lac. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Assurément, d’un lieu où notre logique n’a pas cours et où le temps n’a pas la même valeur. Pourquoi Lancelot ne serait-il pas allé la rejoindre en son mystérieux domaine ? – Je ne le crois pas, intervint Guenièvre. Il avait la ferme intention de revenir à la cour avec nous. D’ailleurs, il y sera obligé, puisque, dans six mois, il devra soutenir ma cause devant le félon Méléagant. » Morgane regarda Guenièvre non sans ironie. « Alors, dit-elle, le héros a peut-être fait une rencontre. Il ne manque pas de gentes dames aux yeux bleus dans les forêts du royaume ! » La foudroyant du regard, Guenièvre voulut répondre par une insolence. Mais en parlant, elle risquait du même coup de dévoiler le secret qui l’unissait à Lancelot. Elle se tut donc, n’abusant nullement Morgane parfaitement consciente de la raison de son silence.
Gauvain se leva. « Puisqu’il en est ainsi, dit-il, je ne vois qu’une chose à faire : partir sans délai à la recherche de Lancelot. Avec ta permission, mon oncle, je m’en irai ce soir même ! » Yvain approuva, ainsi que Girflet et de nombreux chevaliers qui sortirent pour préparer leurs armes. Guenièvre, elle, se retira dans ses appartements et Arthur demeura seul avec sa sœur. « Tout cela ne me dit rien de bon, dit-il d’un ton las. – Pourquoi t’inquiètes-tu, mon frère ? dit-elle. Lancelot, tu le sais, n’en fait toujours qu’à sa tête. S’il n’est pas là, c’est qu’il a ses raisons, et nous n’avons pas à les connaître. – Mais, reprit Arthur, il est
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