Lancelot du Lac
l’annoncer dans le pays. – C’est bien loin, murmura Guenièvre. Ne pourrait-ce être plutôt dans un mois ? J’enverrai mes messagers les plus rapides afin que chacun soit informé. – Puisqu’il en est ainsi, nous le voulons bien, acceptèrent les dames. Et toi, reine, seras-tu parmi nous ? – Ce sera un honneur pour moi, répondit Guenièvre. Vous ne pouvez pas savoir combien votre idée me réjouit le cœur. »
Des messagers partirent donc sur-le-champ annoncer par tout le royaume le tournoi, précisant que la reine Guenièvre serait présente. La nouvelle se répandit vite dans tout le pays et même dans les royaumes voisins, en particulier dans celui de Gorre. Or, c’est là que se trouvait Lancelot, sous la garde du sénéchal, par ordre du félon Méléagant. Le sénéchal, bien sûr, ne faisait qu’obéir aux ordres de son seigneur, car, en fait, il aimait beaucoup Lancelot et respectait sa valeur et son courage. Aussi prodiguait-il à son prisonnier tout ce qu’il désirait, sauf bien entendu la permission de sortir. Le sénéchal n’était pas souvent dans son manoir ; mais sa femme, une dame belle et courtoise, y résidait à demeure. Chaque jour, Lancelot quittait la tourelle où il était enfermé et prenait ses repas en sa compagnie. La dame l’aimait plus qu’aucun autre homme au monde pour les merveilleux exploits qu’elle avait entendu conter à son sujet. C’est ainsi qu’il apprit la nouvelle du tournoi. Il en fut soudainement très attristé, consterné qu’il était de ne pouvoir y participer. S’apercevant de sa tristesse, le voyant pensif et perdant l’appétit, le teint chaque jour plus pâle, la dame lui demanda ce qui lui arrivait. Mais, comme il ne voulait rien dire, elle le pria de le lui révéler, au nom de l’être qu’il aimait le plus au monde.
« Dame, dit-il, tu m’en as tant adjuré que je suis bien forcé de l’avouer : sache que je ne prendrai plus de nourriture ni de boisson si je n’assiste pas au tournoi qui est annoncé. Voilà la raison de mon chagrin. Tu connais mon tourment, j’en suis fâché, mais j’étais obligé de te le dire. – Lancelot, dit la dame, si l’on te permettait d’y aller, en recevrait-on une belle récompense ? – Oui, dame, tout ce que je possède ! – Écoute-moi bien : si tu m’accordes le don que je demanderai, je te laisserai aller et je te fournirai des armes et un bon cheval. » Au comble de la joie, Lancelot ne fut pas long à accepter. « Sais-tu ce que tu m’as accordé ? demanda la dame. Ton amour. » À ces mots, il ne sut que répondre, mais il avait promis et, surtout, s’il l’éconduisait, il risquait de ne jamais participer au tournoi. Pourtant, en lui accordant son amour, il la trahissait, car elle ne manquerait pas d’exiger tôt ou tard son dû. Comme son silence se prolongeait, la dame s’impatienta. « Ta réponse ? demanda-t-elle enfin. – Dame, tu n’essuieras aucun refus, pour ce que je possède (47) , car tu l’as bien mérité. – M’accordes-tu ton amour ? – Dame, je t’accorde ce que je peux sans être contesté. »
Le voyant si embarrassé, elle crut que c’était à cause de sa timidité. Et puis, elle désirait si ardemment se mettre à son service afin qu’à son retour il fût tout à elle, qu’elle lui fit préparer sans vouloir réfléchir davantage des armes et un cheval. Aussi, quand le moment fut venu de se mettre en route, elle l’en avertit elle-même, à sa grande satisfaction, et l’arma de sa main. Il jura, sur l’être qu’il aimait le plus au monde, de revenir dès que possible après l’assemblée. Rien ne le retiendrait que la mort, il lui en fit le serment.
Il s’en alla donc vers Camelot où devait avoir lieu le tournoi, portant les armes du sénéchal dont il emmenait le meilleur cheval. Ayant trouvé à se loger loin du champ clos afin de n’être reconnu par personne, le matin de la rencontre, il se présenta à l’assemblée et vit que la reine était installée sur une bretèche, en compagnie de nombreuses dames et demoiselles. De belles joutes commencèrent, ainsi que de grandes mêlées, en plusieurs points, où se distinguèrent Bedwyr, Dodinel le Sauvage, Agravain, frère de Gauvain, Yvain l’Avoutre, et même Lionel et Bohort que le roi Arthur avait faits chevaliers et qui brûlaient du désir de se distinguer.
Lancelot s’arrêta sous la bretèche vers laquelle il lança un tendre regard. Avec lui, venait de la
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