Lancelot du Lac
insuffisante pour apaiser sa faim et sa soif.
Seuls Méléagant et le serf étaient au courant du lieu de sa détention. Et Lancelot demeura prisonnier pendant plusieurs mois, se lamentant sans cesse et ne survivant que par la pensée de Guenièvre, dont l’image, gravée au fond de son cœur, était son seul rayon d’espoir.
À quelques jours de la date fixée pour le combat entre Lancelot et lui, Méléagant quitta la cité de Gorre et s’en vint à Camelot se présenter au roi Arthur. « Roi, lui dit-il, il est hors de doute que cette année, j’ai conquis la reine sur Kaï, le sénéchal, et cela en combat loyal. Il est également hors de doute que Lancelot est venu la chercher jusque dans la cité de Gorre et qu’il a combattu contre moi. À l’issue de cette bataille, et pour répondre aux vœux de mon père, le roi Baudemagu, j’ai libéré la reine et tous les captifs qui se trouvaient dans mon royaume. Mais, sous les yeux de la reine, Lancelot a juré sur les saintes reliques qu’il se battrait contre moi, dans un délai de six mois, quand je viendrais le provoquer. Quant à la reine, elle a juré de me suivre si Lancelot échouait à la défendre. Me voici, roi Arthur, fidèle au serment que nous avons échangé lui et moi. Je suis venu provoquer Lancelot, mais je constate son absence. S’il est ici, qu’il paraisse à mes yeux, car un chevalier tel que lui ne peut se dérober ! »
Ainsi parla Méléagant. Arthur, qui ne le connaissait que trop, le traita avec honneur, par attachement pour son père, le roi Baudemagu. « Méléagant, lui dit-il, Lancelot n’est pas ici, et je ne l’ai pas vu depuis qu’il est allé à la recherche de la reine, et même bien des mois auparavant. Mais tu es assez sage pour savoir ce que tu dois faire. – Quoi donc ? – Attendre ici quarante jours, et s’il ne vient pas, retourner dans ta terre et revenir à la fin de l’année. S’il ne se bat pas d’ici là contre toi, ou si un autre chevalier ne se bat pas à sa place, la reine sera à toi. » Méléagant décida alors qu’il demeurerait à Camelot et qu’il attendrait Lancelot.
Cependant, parmi les gens de Gorre que Méléagant avait amenés avec lui à Camelot, se trouvait une jeune fille du nom d’Énora. C’était la demi-sœur de Méléagant, que le roi Baudemagu avait eue de sa dernière épouse. Elle connaissait bien Lancelot, car c’était elle qui lui avait réclamé la tête du chevalier qui l’avait insulté et que celui-ci avait vaincu. Or, celui dont elle avait demandé la tête était un chevalier, ami intime de Méléagant. Il convoitait la jeune fille et l’avait souvent priée d’amour mais elle n’avait jamais voulu rien entendre, éprise qu’elle était d’un autre chevalier, encore jeune adolescent. Quand le prétendant éconduit avait vu qu’il n’obtiendrait rien d’elle, il avait affirmé au roi qu’il l’avait surprise en train de fabriquer des breuvages pour les faire mourir, lui et son fils, afin que celui qu’elle aimait devînt lui-même roi. Baudemagu et Méléagant furent consternés par la nouvelle, et comme le fourbe avait déclaré avoir surpris la jeune fille couchée avec son amant, il avait obtenu la permission d’occire son rival s’il le trouvait encore dans les appartements d’Énora.
C’est ainsi qu’il le tua par traîtrise et que la jeune Énora, de ce jour, avait juré de le venger. Apprenant qu’un preux chevalier venait pour délivrer la reine, elle était donc allée trouver l’assassin de son ami et lui avait promis que s’il consentait à se battre contre le chevalier étranger, elle se donnerait à lui. Aiguillonné par le désir, il avait aussitôt accepté. Quant à Énora, elle s’était attachée à ses pas afin de le fourvoyer, et quand elle avait vu qu’il avait le dessous, elle avait adjuré son vainqueur, au nom de l’être qui lui était le plus cher, de lui offrir la tête de son ennemi. Ainsi s’était-elle vengée d’un traître qui l’avait calomniée et qui avait assassiné son amant.
Or donc, Énora, qui se trouvait ce jour-là dans la suite de Méléagant, s’étonna fort que Lancelot fût absent juste à la date fixée pour le combat, ne pouvant le croire capable d’une telle forfaiture et elle soupçonna aussitôt son frère de ne pas être étranger à la disparition du chevalier. Il lui revint également que Méléagant avait un serf qui lui obéissait corps et âme et accomplissait pour son
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