Lancelot du Lac
rien paraître. Elle lui procura armes et bonne lance, et lui fit cadeau d’un merveilleux cheval, sans pareil dans le monde. Bondissant sur lui, il se retrouva en un clin d’œil en selle. Alors, d’un cœur sincère, ils se recommandèrent l’un et l’autre à Dieu, puis, éperonnant sa monture, Lancelot s’élança sur le chemin qui menait à Camelot.
Comme il atteignait la forêt, toute proche des terres du roi Arthur, Méléagant se trouvait dans le pré, devant la forteresse. Armé de pied en cap, il pérorait orgueilleusement devant les chevaliers présents, clamant à qui voulait l’entendre qu’il allait s’en aller puisque Lancelot ne se présentait pas et que visiblement personne ne voulait relever le défi à sa place. Ne pouvant davantage supporter ce discours, le jeune Bohort, bouillant de rage et d’impatience, se dressa devant Méléagant, déclarant qu’il était prêt à livrer bataille sur-le-champ si le roi l’y autorisait. Le toisant dédaigneusement, Méléagant se contenta de rire en disant qu’il n’avait pas pour habitude d’écraser des mouches. Gauvain alors s’avança à son tour et dit : « C’est moi que tu trouveras en face de toi, et pas un autre ! – Par Dieu ! répondit Méléagant, je le veux bien, car je ne connais pas de chevalier avec lequel je me mesurerais aussi volontiers qu’avec toi. » Gauvain se retira pour aller s’armer.
Mais, sur ces entrefaites, Lancelot arriva. Il aperçut Gauvain en armes qui se dirigeait vers le pré, et le salua joyeusement. Gauvain ne put en croire ses yeux et resta bouche bée devant celui que la cour attendait depuis si longtemps. Les deux hommes se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, et la nouvelle de l’arrivée du chevalier se propagea à une vitesse foudroyante. Le roi et la reine accoururent, entourés de tous les chevaliers, remplis d’une allégresse sans précédent. La reine Guenièvre sentait son cœur battre à tout rompre et eut beaucoup de mal à se retenir de serrer contre elle celui qu’elle espérait depuis si longtemps, mais parvenant à se contenir, elle accueillit Lancelot comme il convenait à une reine de le faire pour un chevalier venu défendre son droit.
Quant à Méléagant, il en demeura tout interdit. Il s’attendait à tout sauf à cela, ayant pris tant de soin pour éloigner à jamais son rival. Ignorant tout de ce qui s’était passé, car, après la fuite de Lancelot, le serf qui gardait la tour s’était enfui lui-même par crainte de la colère de son maître, il en était réduit aux plus folles conjectures. « Comment est-ce possible ? répétait-il. Les murs de cette tour sont plus solides qu’une montagne et il n’existe aucune issue permettant une évasion. Il faut donc croire que quelqu’un m’a trahi. Que n’ai-je pris toutes mes précautions ! Mais il est trop tard pour fermer l’écurie quand le voleur a déjà dérobé le cheval, et je vois maintenant que je ne recueillerai que honte et moquerie si je n’endure sans broncher une si cruelle épreuve. » Méléagant, il faut le dire, était fourbe et sans scrupule, mais il n’en était pas moins courageux autant qu’orgueilleux. Aussi se présenta-t-il au roi et dit-il simplement : « Puisque Lancelot est là, je désire le combattre sans plus tarder selon nos engagements. »
Ayant donné ses ordres, Arthur demanda aux deux adversaires de se rendre dans la lande au-dessous du donjon, qui était vaste et large. Lancelot, qui avait revêtu les armes de Gauvain, rejoignit Méléagant, suivi par le roi et tous ses chevaliers, la reine les observant d’une fenêtre. Au milieu de la lande, un sycomore étendait son feuillage qui retombait en voûte élégante au-dessus d’une fraîche fontaine. Le roi s’assit sur le perron de la fontaine et demanda à ses gens de se mettre à l’écart. Aussitôt, Lancelot fondit sur Méléagant avec toute la fureur d’une haine longtemps retenue. Mais avant de l’attaquer, il lui cria d’une voix puissante : « Félon ! Viens à moi ! Je t’ai défié et tiens pour certain que je ne t’épargnerai pas ! »
Alors, sans plus attendre, les deux hommes lancèrent leurs chevaux à bride abattue dans la bataille, échangeant de formidables coups. Méléagant fit voler en éclats sa lance et Lancelot le frappa si rudement que, bouclier et bras plaqués au corps, l’échine heurtant l’arçon, le cavalier roula à terre. De son côté, Lancelot sauta à bas
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