Lancelot du Lac
maître des actions qui n’étaient pas toujours recommandables. Elle décida donc d’aller à sa recherche et, en l’intimidant, de recueillir des renseignements susceptibles de lui faire retrouver la trace de Lancelot.
Une fois sa décision prise, et sans s’accorder aucun délai, elle monta sur une mule au poil luisant, à l’allure très douce, et quitta la cour sans en avertir personne. Elle chemina longtemps, s’arrêtant la nuit chez des paysans qui voulaient bien la loger, et passant tout le jour sur les chemins, à travers forêts et vallées. Un soir, elle parvint enfin à la maison du serf située au bout du marais. Elle s’arrangea pour ne pas être vue et se posta dans un buisson pour mieux observer ce qui se passait. Ainsi vit-elle comment on plaçait du pain et de l’eau dans la petite barque, et comment celle-ci, par une corde, était tirée jusqu’à l’ouverture de la tour. Dès lors, elle sut que Lancelot était là, et la nuit suivante revint, s’étant procuré tout ce qui était nécessaire pour tirer le captif de la tour. Quand le serf et sa famille furent endormis, elle alla vers la barque et y plaça un pic et une grosse corde. Puis, naviguant sur le ruisseau, elle parvint au bas de la tour où elle trouva un petit panier suspendu à la fenêtre. Elle secoua la corde du panier.
Lancelot ne dormait pas, se morfondant à la pensée de son triste sort. Quand il entendit qu’on remuait la corde, il se leva, vint à la fenêtre et passa la tête au-dehors. Il entendit la jeune fille qui l’appelait doucement. « Qui es-tu ? demanda-t-il, s’efforçant de ne pas hausser la voix. – Je suis ton amie, et viens te délivrer ! » À ces paroles la joie revint dans le cœur de Lancelot. La jeune fille attacha la grosse corde qu’elle avait apportée à celle du panier et y fixa solidement le pic. Elle le pria ensuite de tirer à lui le tout, ce qu’il fit sans attendre. Puis, le pic en main, il entreprit d’élargir la fenêtre, de manière à obtenir une ouverture suffisante pour qu’il pût passer. Nouant solidement la corde dans sa prison, il l’agrippa pour se laisser descendre jusqu’en bas. Une fois au pied de la tour, il remercia la jeune fille, lui demandant pourquoi elle avait fait cela. « J’ai une dette envers toi, répondit-elle. Je suis celle qui t’a réclamé la tête de l’homme que tu avais vaincu lorsque tu te dirigeais vers le Pont de l’Épée. Je ne t’avais pas dit qui j’étais, mais je t’avais promis que ton action ne resterait pas sans récompense. Je suis Énora, fille du roi Baudemagu, et je connais assez les trahisons de mon frère Méléagant. »
Cependant, dès qu’il s’était trouvé sur le sol, Lancelot s’était senti saisi de faiblesse. Il n’avait pas marché depuis longtemps et le manque de nourriture l’avait grandement anémié. Avec ménagement et douceur, Énora le fit monter sur le dos de sa mule, et, se plaçant en tête, elle entreprit de sortir du marais, connaissant les chemins secrets pour s’éloigner sains et saufs. Ils s’en furent donc à la dérobée, le plus silencieusement possible, passant à l’écart des endroits où ils auraient pu être reconnus. Enfin, ils parvinrent à un manoir où la jeune fille aimait se rendre et séjourner, car il offrait agrément et beauté. Là, tout le monde était dévoué à son bon vouloir. C’est là qu’elle avait décidé de soigner le chevalier, sachant l’air salubre et la retraite sûre.
Les forces de Lancelot lui revinrent en effet rapidement, et, au bout de quelques jours, il se sentit complètement rétabli. Il dit à la jeune fille : « Belle douce amie, c’est à Dieu et à toi que je dois d’avoir recouvré la santé. Tu m’as arraché à ma prison, aussi t’en sais-je infiniment gré. Tu peux compter sur mon assistance en toutes circonstances. Je ne te ferai jamais défaut, je te l’assure. Mais, pour l’instant, il faut que je parte. Il y a si longtemps que l’on ne m’a point vu à la cour du roi Arthur, et je sais que là-bas j’aurai une belle besogne à faire, dans laquelle mon honneur est engagé. – Je le sais, dit la jeune fille, et c’est aussi pour cela que je suis venue te délivrer. Les félonies de mon frère me sont insupportables, et peu m’importe ce qui lui arrivera. Tu peux partir quand tu voudras. »
L’idée de se séparer de lui l’attristait beaucoup, car elle s’était mise à l’aimer. Mais elle n’en laissa
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